Une grande banderole blanche accrochée sur la façade du bâtiment de verre du Frac Alsace. En ces temps de crise, on pense d’abord à une usine en grève, à l’une des nombreuses actions revendicatives. Mais la phrase inscrite sur banderole, Tu ne dis jamais rien, semble davantage relever du message personnel que du discours public. L’énoncé à la deuxième personne du singulier s’adresse directement à chaque lecteur.
Pierre Ardouvin, l’auteur de la banderole, interpelle les visiteurs et suscite l’attention de tous les passants de la petite ville paisible de Sélestat. Il procède à une incursion dans l’intimité de chacun en lançant dans le champ public un sujet d’ordre privé. Chacun est ainsi renvoyé à sa propre histoire, à ses éventuelles faiblesses. Ces mots écrits à la main sont de nature à réactiver des blessures profondes et refoulées.
Pierre Ardouvin trace des parcours dans les aléas de la conscience et de la mémoire. Par ses dessins et ses installations, il ravive les souvenirs oubliés, les remords bien acceptés, ou les regrets mal digérés. C’est par cette mécanique sourde que la banderole accrochée sur la façade du Frac Alsace suscite des interrogations et pique la curiosité des habitants de Sélestat.
A l’intérieur du bâtiment, Pierre Ardouvin a dressé une série des petits tas faits de chutes de bois brut, ainsi qu’une petite caravane plantée sur l’un des tas de bois. Grâce à la structure en verre du bâtiment, et à la transparence de la façade, l’installation est visible de l’extérieur. Elle ressemble à un paysage dévasté et déserté, comme après une tempête.
Le refrain de la célèbre chanson La Foule, chantée par Edith Piaf, passe en boucle. La musique provient de la caravane qui a miraculeusement échappé à la tourmente. L’intérieur est éclairé et les fenêtres sont ouvertes. Que se passe-t-il là ? Pourquoi cette musique en boucle? Les amoncellements de bois empêchent d’accéder à la caravane qui garde son secret et ses mystères. La chanson et la voix d’Edith Piaf, ainsi la répétition créent là une ambiance mystérieuse et inquiétante, la mélancolie.
Entre mélancolie, nostalgie et poésie, l’installation de Pierre Ardouvin ravive nos peurs et nos joies, et le sentiment de notre solitude dans la foule.
«Je revois la ville en fête et en délire
Suffoquant sous le soleil et sous la joie
Et j’entends dans la musique les cris les rires
Qui éclatent et rebondissent autour de moi
Et perdue parmi ces gens qui me bousculent
Etourdie désemparée je reste là …»
Pierre Ardouvin
— La Foule, 2009.
— Tu ne dis jamais rien, 2009.
Publications Â
— Pierre Ardouvin, Éd. Les presses du réel, coédition Frac Alsace/Artothéque de Caen, Fondation d’entreprise Ricard, Villa du Parc, Galerie Chez Valentin, sept. 2009.
— Pierre Ardouvin, Déjà vu, coédition La Galerie Chez Valentin, l’Espace des arts, le Centre régional d’art contemporain Languedoc-Roussillon, le Creux de l’enfer et le Palais de Tokyo, Thiers, 2005
— Pierre Ardouvin : on dirait le Sud, Musée d’art moderne de la Ville de Paris-ARC, 16 nov. 2005-16 janv. 2006 , Paris, 2005