ART | CRITIQUE

La Fin est proche!

Vernissage le 08 Mar 2012
PFrançois Salmeron
@27 Mar 2012

Winshluss reprend enfin ses crayons. Connu pour le Prix Spécial du Jury du Festival de Cannes qu’il obtint avec Persépolis (coréalisé en 2007 avec Marjane Satrapi). L’occasion de découvrir les planches qu’il aura confectionnées autour d’une adaptation libre, et pour le moins déjantée, du roman de Carlo Collodi, Pinocchio.

Auteur d’une œuvre protéiforme allant du cinéma à la sculpture, en passant par la création d’objets, Winshluss revient avec «La Fin est proche» au dessin et à la bande dessinée. Il expose donc ses crayonnés, dessins à l’encre et acryliques sur papier, dans une étonnante relecture du conte de Pinocchio. Car son œuvre prend notamment le contre-pied de l’univers naïf et enfantin du dessin animé de Walt Disney, qui reste comme une référence dans la conscience collective.
En effet, Winshluss décline les aventures du plus célèbre des pantins dans un univers noir, cynique et complètement déglingué. Une relecture certes un peu «trash», mais ô combien jubilatoire.

Winshluss se plaît ainsi à massacrer l’univers bien policé et moralisateur du conte pour enfants, en nous livrant la version mordante d’un Pinocchio qui, désormais, sera un droïde créé des mains du bon vieux Geppetto, et servira de robot domestique à son épouse.
Surtout, l’histoire s’inscrit dans un univers de guerre, de meurtre et d’apocalypse. Pinocchio traverse en effet des champs des batailles, où les corps s’entre-tuent et les soldats usent d’armes de destruction massive. Et ce grand jeu de massacre semble être tenu par d’inquiétantes silhouettes fumant le cigare et brassant les dollars, tout en perpétuant la violence aveugle et entretenant la crise économique. Car s’il existe quelques puissants, les planches de Winshluss se focalisent presqu’exclusivement sur les conditions de vie des petites gens et des marginaux.

Effectivement, l’œuvre de Winshluss se fascine pour le traitement des marges, et se passionne pour les minorités, les rebuts, les parasites ou les irradiés de la société. «La Fin est proche» sonde ainsi les profondeurs de la société, ses bas-fonds, comme Pinocchio explore bien malgré lui, après son naufrage, les abysses des océans, elles aussi habitées par des créatures menaçantes et monstrueuses.

Dans une œuvre muette et sans bulle, Jiminy reste l’un des rares personnages parlant. Mais le coquet petit criquet au chapeau haut-de-forme de Walt Disney, redevient ici un pauvre cafard. Écrivain raté, alcoolique et fumeur de joints, le cafard demeure néanmoins le moraliste de l’histoire. Ses dépendances et autres désillusions sentimentales en font notamment un «has been» en furie contre le système, dont les réflexions et les agissements nous font pouffer de rire.
La noirceur, la corrosion et l’humour se chevauchent donc dans l’œuvre de Winshluss, et lui donnent cette connotation si savoureuse. Parlant de révolte et d’errance existentielle, Jiminy tente tant bien que mal de définir le vide de notre monde et ses mécanismes. En tout cas, il nous apparaît comme un être définitivement «à côté de la plaque».

Et pourtant, Winshluss nous rappelle, comme le philosophe Herbert Marcuse en son temps, que la spécificité de notre société industrielle est de pouvoir absorber même les mouvements de révolte et les dissidences, pour s’en renforcer et les étouffer. Monde sans issue alors? Jiminy pense quant à lui, entre deux cuites, qu’être révolté, c’est encore être dans la société.

Mais comment s’adapter au monde? Comment se réconcilier avec lui? Comment se décider à affronter le monde et à se ressaisir, lorsque l’on se sait foncièrement inadapté? La confrontation à autrui semble inévitablement vouée à un rapport de force, et aboutir à une violence sans nom: les traits acérés des planches de Winshluss représentent des personnages en souffrance, qui se font tour-à-tour humilier, moquer, stigmatiser, rejeter, brutaliser ou carrément abuser. Pinocchio reste ainsi pendu à son arbre, les corbeaux approchant. La fin est belle et bien proche, effectivement.

Å’uvres
— Winshluss, Pinocchio (planche 65), 2008Aquarelle,encre, correcteur sur papier. 40 x 29,5 cm
— Winshluss, Pinocchio (planche 134), 2008. Encre, aquarelle sur papier. 42 x 29,5 cm
— Winshluss, Pinnochio(planche 152), 2008. Aquarelle, encre, correcteur sur papier. 30 x 21 cm
— Winshluss, Pinnochio (couverture 1), 2008. Encre, correcteur sur papier. 40 x 29,5 cm
— Vue de l’exposition de Winshluss «La Fin est proche !», Galerie G-P et N Vallois, 2012
— Winshluss, Le Poing, 2012. Bois, massif. 47 x 40 cm

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