Jean-Luc Blanc, Whitney Bedford, Judith Bernstein, Marvin Gaye Chetwynd, Lothar Hempel, Celia Hempton, Hedwig Houben, Tatiana Rihs, Walter Robinson
La Femme de trente ans
Le titre «La Femme de trente ans» n’est qu’un clin d’œil amusé à l’œuvre éponyme de Balzac, une façon de placer la présente exposition sous les auspices de ce roman qui dépeint (du point de vue d’un homme) le parcours peu envieux d’une femme au 19ème siècle à compter de ses trente ans. Le titre du roman est une contradiction en soi puisqu’il évoque un «type», «la» femme de trente ans alors qu’il s’étend aux étapes successives de la vie d’une femme à travers les âges et qu’il s’agissait en outre initialement de nouvelles distinctes, donc de plusieurs personnages et non pas d’une seule femme.
En cinéma, on parlerait sans doute d’un MacGuffin, d’un prétexte pour relier ces œuvres qui partagent quelques aspects iconographiques, des symboles et des questionnements qui perdurent au même titre que les archétypes sexuels et genres auxquels elles font référence. Chaque œuvre est plus ou moins explicitement sexuelle, érotique ou pornographique. Leur juxtaposition offre des points de vue multiples et transgénérationels sur le sujet et ce n’est pas sans humour ni sans une certaine distance critique que le titre «La Femme de trente ans» vient jouer le rôle d’un liant ambigu et quelque peu énigmatique — liant et non pas lien en référence à ce qui constitue matériellement la peinture et par extension ou par contamination d’un médium à l’autre aux liens entre la peinture et les images photographiques, filmées et appropriées.
La redondance de ces représentations du sexe, leur gratuité (à entendre au sens large du terme, en écho évidemment à sa disponibilité permanente sur Internet) et leur absurdité dans le présent contexte d’une galerie tourne volontairement à l’épuisement et évacue le sujet au profit d’un glissement de la figuration à l’abstraction ou pourrait-on même dire à la liquéfaction puisque les formes géométriques vivement colorées et sensuelles de Tatiana Rihs fondent les unes après les autres.
En contre-point s’affirment et se dressent avec grandiloquence les vis dessinées par Judith Bernstein et les sculptures autrement phalliques que la jeune artiste belge Hedwig Houben commente allongée dans sa performance filmée de 2014, The Good, the Bad, the Happy, the Sad.
Le tout s’organise sur fond de collages noir et blanc en all-over de Marvin Gaye Chetwynd. A l’instar d’un décor de carton-pâte déjanté ou d’une ligne de basse (qui pourrait être celle du Female Trouble de John Waters, bande originale du film pour laquelle Divine entonne avec légèreté le cynique refrain «I’ve got lots of problems…»), les Å“uvres de Marvin Gaye Chetwynd homogénéisent et nivèlent cet ensemble d’œuvres pourtant formellement très hétéroclites mais sans lisser, bien au contraire, les accents ambigus et queer des Å“uvres de Jean-Luc Blanc ou de Lothar Hempel.
De part et d’autre de la galerie, dialoguent également les peintures pornographiques ou érotiques de Celia Hempton et de Walter Robinson inspirées directement d’images glanées sur des live chats (chat-roulette par exemple) pour la première et sur des sites de photographies ou de streaming pour le second. Certains diront sans doute que ces peintures (surtout celles de Walter Robinson) dans leur facture et dans le choix de leur sujet flirtent assurément avec le mauvais goût mais c’est davantage la contradiction qui les anime qui prévaut ici. Elles attirent en tant que représentations picturales tout en jouant de la banalité de ces images qui circulent en masse, qui sont conçues sans intériorité ni profondeur et sur lesquelles il n’est a priori pas nécessaire de s’attarder puisque dans la logique de défilement continu qui est la leur l’expérience visuelle est épuisée avant même que le visiteur ne soit prêt à les regarder.
Décrites en ces termes, les stratégies conceptuelles de ces deux artistes, bien que très distinctes l’une de l’autre, peuvent sembler pop mais la réalité même qu’elle évoque est plus subtile. Ces œuvres n’empruntent pas tant aux codes de la publicité «classique» ou devrait-on dire «pré-Internet», qu’elles s’intéressent à cette esthétique relativement récente de la présentation de soi (qu’elle soit fictive et purement consumériste ou non) centrée sur l’exacerbation de la sexualité et à cette esthétique de l’auto-promotion par le sexe qu’elle soit volontaire, libératrice, simulée ou forcée. Ces peintures dont le sujet peut-être absorbé en un seul coup d’œil sont des images d’images et tendent inévitablement un étrange miroir à l’exhibition des corps, du sexe et de ses symboles qui comme des pop-up s’affichent et se referment aussitôt, ou qui, comme les marges de nos boîtes mails ou d’autres sites sont surchargés de publicités censées appeler à la consommation «en tout genre».
Vernissage
Samedi 30 mai 2015 Ã 18h