Yael Davids
La distance entre V et W
Cette première exposition personnelle en France de Yael Davids est le fruit de sa résidence aux Laboratoires d’Aubervilliers, débutée en octobre 2014. Dans ce lieu, l’artiste a imaginé une installation qui se saisit de l’espace, convoquant tout à la fois la question des limites territoriales, ses implications, et la charge culturelle et identitaire que des objets véhiculent à travers leur déplacement temporel et géographique.
En déployant ce qu’on pourrait nommer une relation spécifique au lieu de la sculpture, l’installation de Yael Davids devient paysage, vue d’ensemble d’un site. Son intervention, composée de certains de ses matériaux de référence (le verre, blindé ou renforcé, et l’enduit d’argile, teinté de pigments noirs), confine le visiteur dans un espace de déambulation où il est amené à éprouver un état de frontière.
Autant ses précédentes installations fonctionnaient sur un principe d’interdépendance entre exposition et performance — la première documentant la seconde qui elle-même activait la première —, autant celle mise en place aux Laboratoires d’Aubervilliers se concentre sur la dimension sculpturale de son travail, l’installation allant jusqu’à quasi évacuer la possibilité d’un corps en son sein.
Par ailleurs, l’artiste procède à un basculement horizontal: celui du large panneau noir qui compose certaines de ses installations récentes, telle Ending with glass à Bâle en 2011. Ce glissement du mur au sol entraîne une transformation du statut de la surface: de l’écran à l’étendue, du miroir au territoire.
Dans ses récents scripts de performances, Yael Davids cite deux artistes importants pour elle, Carl André et Richard Serra, situant son travail à l’aune d’une sculpture envisagée comme lieu et comme gravité. Le lieu de la sculpture, qui peut également s’avérer être le lieu de l’œuvre, tout comme le lieu de vie. La gravité, quant à elle, est poids, des corps comme celui des objets et de l’histoire.
Dans ce lieu, l’introduction d’une structure de verre contenant des objets faisant référence à un univers domestique vient provoquer le paysage via la nature morte. Le coffre, réalisé en référence aux cabinets de curiosités et chambres de merveilles, ancêtres indirects des musées, s’avère un objet sculptural appréhendable de tous côtés, aussi bien que la réduction miniaturisée d’un espace plus vaste. Espace dans l’espace, ce contenant et vitrine d’objets fait naître des récits autant qu’il en constitue leur lieu d’agencement.
Par ailleurs, des dessins de nature morte ont été réalisés par l’artiste à partir des objets achetés par Yael Davids à Aubervilliers pour l’exposition. Ils documentent les possibilités infinies de dispositions et de récits que ces objets produisent.
L’œuvre de Yael Davids a ceci de singulier qu’elle parvient à nouer deux dimensions sculpturales a priori contradictoires: abstraction et narration. C’est en regard d’une histoire tant nationale — celle d’une nation en devenir — qu’individuelle — sa propre biographie — que Yael Davids construit un travail où la sculpture rejoint le corps et l’espace comme lieu d’accueil et d’activation des conflits qui la constituent en partie.
Un colloque «en forme de conte», abordant la notion de diaspora des objets, et programmé courant mai 2015, accompagne l’exposition.