Adrien Vescovi
La Dernière Pièce
Adrien Vescovi a tout du sale gosse: insolent (il a une réponse conceptuelle à tout), hyperactif (incapable de tenir en place, comme le prouvent ses performances), trop curieux (il cherche toujours ce qui se cache derrière), impatient (dans ses oeuvres la fin est souvent annoncée dès le début), et dilettante (il cumule références hétéroclites érudites dans un babillage brillant qui transforme ses lacunes en fulgurance). Bref, le parfait chenapan, celui dont on se dit avec soulagement qu’il vaut mieux l’avoir en photo qu’en pension. En même temps, on sait aussi que les garnements deviennent souvent le jeune homme qui finit par faire des brillantes études, le pitre qui ramasse toutes les nanas avec son humour impayable, ou le nerd insupportable qui finit par inventer l’Ipad 2.
La pratique de Vescovi est alors à l’art ce que ce gosse insupportable est à l’humanité en général: une pirouette sans importance capable de poser des questions judicieuses et cruciales, derrière la posture de l’histrion. Vescovi se met en jeu comme un alpiniste de l’absurde sur ce qu’il nomme ses Junks playgrounds (1&2, 2010), terrains de jeux improvisés avec les matériaux du bord et bien trop dangereux pour les enfants: ce Koh Lanta du pauvre assumé sert de théâtre à un roulement de mécanique enfantin de la part du performeur, mis en scène dans sa beauté de garçonnet, marcel blanc et tout muscles dehors, commentaire dérisoire sur la place de l’artiste, à mi-chemin entre idole et bête de foire.
L’écran de fumée, métaphore assumée de la fumisterie s’il en est, est un motif récurrent chez Vescovi: quand il ne prétend pas à carrément incarner une authentique scène de guerre (Remake, 2008), il créée une inquiétude assez vite dévoilée comme étant le produit d’un tour tout à fait inoffensif devenu crédible à la faveur d’un décor particulièrement bien choisi (Stupid White Men, 2011), quand il n’obstrue pas malicieusement les architectures classiques de paysages issus de puzzles niveau 9-13 ans, ce qu’on pourrait là encore voir comme un commentaire ironique sur l’obsession de l’architecture touchant à peu près la moitié des plasticiens hommes en activité (La dernière pièce, 2010).
Dernièrement, Vescovi s’est alors attaché à questionner encore plus avant les procédés ludiques comme autant de métaphores du geste artistique: il a inventé un jeu qui lui permet de créer des parodies grandioses de dessins dignes des plus grandes périodes de l’abstraction (je pense souvent à Agnès Martin devant les dessins de Vescovi), autant par la taille que par l’austérité des motifs mis en oeuvre, à la différence près que ces dessins sont produits… au hasard.
On pense au coup de dés de Mallarmé qui s’il n’a rien aboli a effectivement lancé la grande course à l’innovation formelle du XXe siècle dont Vescovi prend acte et dont il revendique avoir une part du gâteau, mais de façon finalement lucide, et honnête, de celle que prend le petit garçon quand il dit que la partie «pour du beurre» est finie. Assumant le paradoxe métaphysique de savoir tout en le faisant que ce n’est qu’un jeu. Vescovi a le bon coeur du gamin soucieux des règles de nous le signaler: pas sûr que tous en fassent autant.
Dorothée Dupuis
Vernissage
Vendredi 28 octobre 2011.