Nicole et Norbert Corsino sont des danseurs et chorégraphes marseillais, des pionniers en France, avec quelques autres (Robert Cahen, Alain Longuet, Luc Riolon, Charles Picq) de ce qu’on a appelé, au début des années 80, la vidéo-danse. Après avoir bien calculé leur coup, sans doute lu les textes et probablement vu les films de Germaine Dulac, Laszlo Moholy-Nagy, Maya Deren, ils ont lutté contre la tentation cabotine constitutive de l’ego du danseur et ont décidé d’abandonner la scène théâtrale pour se concentrer sur celle du petit écran.
Comme si le fait de produire des vidéos d’art et d’en vivre ne leur suffisait pas, ils ont pris le TGV du virtuel et de tout ce qui s’en suit (capture du mouvement, logiciel canadien Life Forms, installations 3D, etc.).
À un certain moment (celui de leurs opus Totempol et Captives), leur danseuse réelle a muté et a pris le corps flouté d’un avatar à la Lara Croft. Il est vrai que nous sommes passés alors, mine de rien, d’un monde de clowns à un univers de clones.
Si la gestuelle minimaliste de leur danse n’a pas été touchée par ce bouleversement technique, la qualité formelle des vidéos a été profondément atteinte. Les Corsino ont délaissé un impressionnisme de bon ton, leurs magnifiques paysages arrachés aux quatre coins du globe, filtrés par l’électronique, les effets cinétiques, les gadgets analogiques et numériques. Les corps aux mouvements retenus, jusque-là distribués dans des décors fantasques, se sont retrouvés dans la zone désertique, infinie, de l’épure la plus absolue. Retour au noir et blanc des pionniers. Aux cristallisations. La danseuse est devenue par la même occasion un top model idéal, idéel, modelé, modélisé.
Par une alchimie de l’histoire, le hardware s’est métamorphosé en software, la matière noire a viré au gris. La seule chose palpable dans ce nouveau monde dématérialisé, dévalué, est l’argent. Le flux de l’or noir, la danse du dollar, du yen et du yuan. L’économie, la finance, l’informatique ont produit ces changements dans l’art en général et dans la vidéo en particulier. iTunes rapporte plus que tout autre appareillage électronique. Le téléchargement est à sens unique puisqu’il vide surtout nos comptes en banque.
Parmi les 100.000 « applications » chimériques et autres miroirs aux alouettes actuellement disponibles, il en est quelques unes dignes d’intérêt. C’est le cas de Soi Moi, une œuvre d’art qui vaut sa poignée d’euros.
Le rapport à l’image a évolué et on assiste à un retour de la miniature. L’œil, en tout cas celui des adolescents se contentant de vignettes tandis que les vieux croûtons que nous sommes en sont à réclamer leur cinémascope d’antan, s’est aiguisé. Il va finir par transpercer la paume du possesseur de « smartphone » comme un laser et laisser une crevasse d’où sortiront les fourmis de nos rêves.
Le programme ludique des Corsino est à base de séquences qui présentent les mouvements fluides produits grâce aux collaborations artistiques de toujours (les danseuses Ana Teixido et Stefania Rossetti, le compositeur Jacques Diennet, l’infographiste Patrick Zanoli) et des effets psycho-sensoriels obtenus par un long travail de programmation de la part du développeur Samuel Toulouse.
On ne parle plus de nos jours de participation du spectateur, de feedback, d’interactivité mais de navigation intuitive. Le spectateur-acteur, le manipulateur-joueur peut faire ses gammes à l’infini, changer de fond d’écran, de fond musical, de tempo, déformer l’image en temps réel…
Les frappes du clavier sont maintenant des frôlements écraniques, les ordres, des caresses. Et souffler peut être jouer.