Christophe Girard, le maire adjoint chargé de la culture à Paris, a encore frappé en publiant dans Le Monde du 29 mai un texte totalement hallucinant d’autopromotion et de magouille politique. Il est éloquemment intitulé «La politique culturelle à Paris est exemplaire». Pas moins. Avec cette grossièreté tactique de ne pas le signer lui-même, mais de le présenter sous la forme d’une (libre) initiative de douze éminents responsables de quelques uns des plus importants établissements et événements culturels parisiens: Nuit blanche, la Gaîté lyrique, le Théâtre de la Ville, le Centquatre, la Maison des métallos, le Rond-Point, etc.
Tous «obligés et winners» (Valérie de Saint-Do) de la politique culturelle de la Mairie de Paris, les signataires se sont soumis, de plus ou moins bonne grâce sans doute, à un exercice grotesque, voire indigne, mais sans doute inévitable pour satisfaire certains intérêts personnels et, espérons-le, pour assurer la continuïté de leur action au sein de la machine municipale de la culture pilotée par Christophe Girard.
L’opposition assez nette dans le texte entre un cœur argumentatif et des expressions de franche allégeance, indique que, loin d’être une démarche spontanée, cette ode n’a pas été rédigée par les signataires qui ne font là figure que de faire-valoir, caution et cache-magouille.
Par delà leur indigente et pitoyable naïveté, ces lignes font songer aux sinistres témoignages forcés de l’époque stalinienne dont Costa-Gavras décrit la mécanique et l’horreur dans son film L’Aveu.
Dans l’unanimité d’un «nous», les signataires déclarent en début de texte: «Bien avant Paris, nous avons tous travaillé dans d’autres lieux artistiques et culturels en France ou à l’étranger. C’est sans doute la raison pour laquelle nous apprécions tout particulièrement de créer à Paris et que nous savons combien cette “ville vitrine” est essentielle pour l’avenir de la politique culturelle nationale».
Et en conclusion: «Nous souhaitons que la politique culturelle menée avec succès par le maire de Paris et son adjoint Christophe Girard puisse, sans à-coups, se poursuivre jusqu’en 2014… et bien au-delà».
Mais pourquoi les signataires ont-ils ainsi été sollicités et mis à ce point en danger vis-à-vis de leurs collègues, leurs collaborateurs et leur public? Pour servir une opération politique strictement personnelle de Christophe Girard, qualifié dans le texte de «tête de l’édifice culturel parisien» — sinon de «Grand Timonier»!
Cumulant les fonctions de directeur de la stratégie chez LVMH avec celle de maire adjoint de Paris chargé de la culture, Christophe Girard est manifestement animé d’une plus grande ambition: devenir ministre de la Culture.
On l’a vu vibrionner d’espoir quand son nom a circulé (à son initiative?) à l’idée de remplacer la ministre Christine Albanel limogée par Nicolas Sarkozy. Malheureusement, c’est Frédéric Mitterrand qui a été choisi, son patronyme faisant tellement meilleur effet dans le tableau de chasse de ladite «ouverture» de l’époque.
Si Nicolas Sarkozy vous appelait pour vous proposer le ministère de la Culture, lui avait alors demandé Le Journal du dimanche? Réponse: «Si il m’appelle demain? Je ne sais ce que je répondrai car j’ignore l’effet que cela fait quand le Président vous appelle…» (17 mai 2009). L’angoisse de l’attente et la force de l’espoir de rejoindre le giron sarkoziste étaient-elles si fortes qu’elles semblent lui avoir fait oublier que son nom figurait alors sur la liste socialiste des élections européennes?…
Après cette occasion manquée et cette faute politique, Christophe Girard a dû reporter ses espoirs sur une éventuelle victoire socialiste à la présidentielle de 2012. Et pour cela procéder à un important travail de réajustement politique: afin d’atténuer l’image de versatilité politique que lui ont valu ses zigzag du vert écologiste, au rose socialiste, jusqu’à l’éphémère et virtuelle touche de bleu-sarkozy; afin d’estomper ses sympathies libérales sans doute appréciées dans ses responsabilités professionnelles, mais beaucoup moins dans ses fonctions municipales (supposément «socialistes»); afin, également, de masquer son incurie en matière d’internet et d’informatique, autant que son indulgence vis-à-vis de la loi scélérate Hadopi. C’est ainsi que le vert, le rose et le bleu ont été recouverts d’une bonne couche de rouge — façon gardes rouges maoïstes — par la publication récente de son Petit Livre rouge de la culture.
Mais de tous ces efforts notre homme n’a pas été récompensé par la victoire de François Hollande: le ministère tant convoité lui a échappé encore, tandis qu’il est contraint (par la loi) de remplacer la maire du IVe arrondissement appelée au gouvernement, et obligé (en raison de la règle de strict non cumul des mandats) de quitter ses fonctions d’adjoint à la culture. Finie la culture, au gouvernement comme à Paris.
Mais qu’à cela ne tienne, un nouveau combat s’est aussitôt enclenché. Non pour la culture, non pour le bien commun, non pour une nouvelle dynamique municipale dans le sillage des changements politiques récents. Bien au contraire, un petit combat pour conserver de grands privilèges. Non pas un combat «socialiste» avec et pour les autres, mais un combat individualiste pour ses seuls intérêts et pouvoirs personnels.
Et pour cela, tout est bon. Même l’erreur politique. En pleine période d’élections législatives, le «socialiste» Christophe Girard a «demandé au maire de Paris s’il serait possible de conserver sa fonction d’adjoint à la culture jusqu’en 2014» (Le Monde, 22 mai 2012), c’est-à-dire de la cumuler avec celle de maire du IVe arrondissement. Au risque d’entacher d’exception le symbole politique que le chef de l’État veut conférer au non-cumul.
Peu importe: on mobilise, on bat le rappel, on met à contribution les «obligés et winners». Et l’on fait tour à tour sonner trompettes et tocsin. On entend d’un côté que Christophe Girard «a donné un élan inédit à une culture parisienne jusque-là inconnue [sic], proposant de nouveaux champs de création d’envergure, offrant des projets créatifs à des quartiers auparavant dédaignés tout en soutenant une politique volontariste dans le domaine de l’éducation et des pratiques artistiques».
Et l’on construit d’un autre côté des scénarios-catastrophes: «la crise sociale, morale, économique» qui va durer; une «année 2013 [qui] s’annonce budgétairement explosive». Et dans ce chaos, l’on souligne le rôle majeur de la culture, à condition… qu’«on ne change pas une équipe performante quand la tempête s’annonce». CQFD.
La «tête de l’édifice», le capitaine dans la tempête, le chef-recours-rempart irremplaçable: toute une rhétorique que l’on a récemment trop subie, jusqu’à la nausée. La méthode clanique de mobilisation des «obligés et winners»; l’hypertrophie du moi au risque de l’erreur et de la cécité politiques; la grossièreté propagandiste d’un texte cyniquement intitulé «La politique culturelle à Paris est exemplaire» : tout cela est indigne de la part de quiconque assume des responsabilités électives dans le domaine de la culture; tout cela est une insulte en acte à la culture. Un discrédit rédhibitoire.
André Rouillé.
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Collectif, «La politique culturelle à Paris est exemplaire», Le Monde, 29 mai 2012.
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