La Conquête de Mars commence sur une incompréhension. Quand en 2029, Makélélé Chow pose le premier pied sur la surface martienne, il s’aperçoit, et avec lui l’ensemble des Terriens qui assistent à la scène devant leurs téléviseurs, qu’il n’est pas le premier. D’autres hommes s’y sont installés. Non des moindres puisqu’il s’agit des Nazis, vraisemblablement partis au moment de la débâcle de 1945.
Le temps de rassembler ses esprits, Makélélé est projeté sur les arpents d’une falaise par l’explosion qui réduit en poussière le vaisseau terrien. La caméra fixée sur le casque de sa combinaison filme alors un homme sosie d’Adolf Hitler avant qu’elle ne se brouille au moment où le cosmonaute perd l’équilibre et chute dans le vide…
La Terre tremble du potentiel retour nazi. Lloyd Lee, le président des tout-puissants Etats-Unis, agite lui-même cette peur avant de demander le rétablissement des lois martiales et les pleins pouvoirs pour, d’une part récupérer Makélélé Chow et d’autre part, réduire à néant la Germania de l’espace.
Comment Lloyd Lee va-t-il s’y prendre? Comment les Nazis ont-ils pu survivre dans un environnement aussi hostile depuis plus de soixante-dix ans? Quelle vérité Makélélé Chow est-il porteur après son retour sur Terre? Le duo Otto T. et Grégory Jarry organisent leur narration autour de ces trois questions. Trois questions pour trois chapitres, trois visions d’un même événement éclaté dans le temps, cette fameuse conquête de Mars.
Le tome 1 présageait déjà de l’aventure martienne et, en oblique dans l’histoire, du mensonge des autorités politiques. Ici, la coupe est pleine et les vérités pas toujours bonnes à dire. Comme celle de Lloyd Lee, le président américain qui arbore à l’envie son chapeau texan, inventant un bobard pour partir en guerre intergalactique (cela ne vous rappelle rien?).
Il n’y a donc pas de conquête sans cantate politique. En successeure désignée d’Adolf Hitler, Eva Braun ne sera pas en reste pour diriger la construction de la cité germanique sur Mars, supplée en cela par le zélé docteur Mengele, afin de préparer au mieux la (re)conquête de la Terre.
Cette Conquête de Mars n’est finalement qu’une histoire de désillusion. Une belle utopie que les parangons du pouvoir auront patiemment démolie à force de barbarie discrète et d’arrangements avec les faits. Un storytelling de plus, pourrait-on dire, à l’heure où les actes de nos puissants, les vrais, ceux qui occupent les plus hautes fonctions, semblent s’en inspirer fortement. Le storytelling ou l’art d’accommoder le réel à grands coups d’images et de mystifications.
Il n’empêche. Lorsqu’on s’échappe un peu du périmètre de la critique d’un certain cynisme propre à la mécanique du pouvoir, La Conquête de Mars est une série épatante. Par sa justesse, par sa drôlerie, par son irrépressible désir de nous en apprendre sans longs discours. C’est là toute la richesse du ping-pong permanent que se livre le dessin d’Otto T. et le texte de Grégory Jarry.
Le premier s’inscrit toujours en embuscade du second, dans les creux de cette narration documentée mais jamais ennuyeuse. D’un côté un trait franc, sec, rapide, des personnages proches de la caricature. De l’autre, une écriture sans fioritures qui laisse échapper des pointes d’humour noir et de cynisme consommé.
De ce travail commun, on retient une irrésistible galerie de portraits. Makélélé Chow en cosmonaute touché par la rédemption ; Bertrand Hitler, petit-fils de, en paysan massif mais doux comme un agneau ; Eva Braun en mère aimante et despotique ; et surtout le funèbre Docteur Mengele, en professeur génial mais pervers qui voue une passion sans mesure pour la musique teutonne.
Livre d’histoire, livre d’anticipation, livre potache. Violence, perversion, cynisme et bonheur de l’aventure humaine. La Conquête de Mars est tout cela à la fois : un petit séjour dans la capsule interplanétaire du genre humain.
Grégory Jarry et Otto T.
La Conquête de Mars. Germania (tome 2)
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