Pauline Bastard, Sépà nd Danesh, Tacita Dean, Douglas Edric Stanley et Ragnar Helgi Olafsson, Tristan Fraipont, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, Frédérique Lagny, Basim Magdy, Sara Millot, Miranda Moss, Pascal Navarro, Raphaëlle Paupert-Borne, Dominique Piazza, Marie Reinert , Shuji Terayama et Shuntaro Tanikawa, Oriol Vilanova
La carte postale revisitée
Les pistes sont sinueuses, se faufilant là et là , qui déterminent les facettes de cette exposition dédiée spécifiquement au sujet proposé pour le Printemps de l’Art Contemporain 2015: l’invention par Dominique Piazza de la carte postale photographique à Marseille en 1891 (ou en tout cas, ce passage à ce jour marqué comme origine qui fait de Piazza a minima l’un des pionniers importants de cette découverte).
La carte postale? Un continent! Retenons quelques grandes lignes.
Elle participe de l’ère moderne industrielle et post-industrielle des loisirs, de la publicité, de l’image fabriquée, et de la consommation. Elle témoigne de certaines utopies, et son universalité en fait un outil redoutable de communication. Quelles sont les constructions structurant ces messages à la fois publics et privés? Nombreux sont les artistes qui se sont appropriés ou qui ont détournés les principes formels ou usuels de la carte postale et qui révèlent notamment l’envers du décor, le revers de la médaille. Par exemple, le tourisme est-il idéologiquement la culture du dominant? Les stéréotypes sont au centre de la proposition de Pauline Bastard. Miranda Moss interroge la dimension la plus fugace du temps qu’il fait avec ses observations météorologiques: Roland Barthes voyait justement dans les remarques familières sur la pluie ou le beau temps une des marques de grande délicatesse de l’esprit.
La carte postale est d’une grande simplicité, de taille modeste et pensée pour passer de main en main. Sara Millot, avec ses plans de main tenant une image nous rappelle que quelque chose de ces cartes est avant tout tactile, sensibilité à fleur de peau. On perçoit très vite alors ce qui est surcodé dans la carte postale, elle est monumentalisation permanente.
Il nous fallait la finesse du regard de l’artiste-collectionneur de cartes postales Oriol Vilanova pour se saisir à travers un cas Marseillais (quarante cartes de la réplique du David de Michel-Ange sur le rond-point de la plage du Prado) de tout ce que nous apprennent ces images malgré leur vulgarité ou leur vacuité apparente.
Les œuvres de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, puis de Frédérique Lagny seront deux preuves d’un usage politique de la carte postale. Relecture de l’histoire du Liban à travers ses bâtiments détruits d’un côté, et perspectives sur l’histoire récente du Burkina Faso de l’autre. Avec les peintures rephotographiées de Raphaëlle Paupert-Borne, les cartes postales sont barbouillées de bitume tout comme les journaux ou les images de magazine.
Nous nous sommes permis de dépasser un abord littéral de la carte postale, pour agréger des formes qui s’éloignent du dispositif de Piazza. Les cartes postales ne sont plus directement présentes dans la fresque de Sépà nd Danesh, elles habitent sa peinture de coin. Pascal Navarro a fait une proposition qui suit ce fil blanc de la présence à Marseille de l’atelier Nadar. Avec Basim Magdy, le lien entre le texte et l’image rappelle que la carte postale représente un signe le plus souvent biface: le texte, normalement au dos de l’image, est ici une formule imprimée avec de l’argent qui vibre dans un grand espace blanc en dessous de l’image. Espacement poétique. L’enregistrement de Tacita Dean rappelle la dimension du voyage, et la présence-absence d’un monument du land-art qu’elle ne réussit à trouver.
Rappelons qu’en 1936, 6 milliards de cartes postales circulent par l’Union postale universelle (voir la carte Piazza commémorative). La carte postale comme support reliant mots et images a des équivalences contemporaines saisissantes avec l’usage aujourd’hui dominant des smartphones, des mails, de Facebook ou autres réseaux sociaux. Les applications de Douglas Edric Stanley et Ragnar helgi Olafsson, Tristan Fraipont, sont des tentatives pour se démarquer de l’instantanéité du direct de la webcommunication. Il semble parfois que la carte postale incarne le signe mots-images tel que Raymond Bellour en a pensée la jonction impossible (celui-ci s’inspirant de Maurice Blanchot). La carte postale, est-elle biface, ou à multiples facettes (considérons la carte multivues de Piazza et ses nombreux avatars numériques)?
La carte postale n’est pas seulement photographique, il y a eu une tradition de carte postale cinématographique (Lettres d’amour en Somalie, de Frédéric Mitterand, Sans Soleil de Chris Marker), vidéographique (les fameuses Video Letters de Shuji Terayama et Shuntaro Tanikawa, une correspondance vidéo qui arrive au moment de l’arrivée des moyens vidéo grand public), mais aussi, dès 1900, la «vinil postcard», forme dont s’empare Marie Reinert pour une édition contemporaine à propos de la vigie de Fos-sur-Mer.
De la carte postale aux réseaux numériques, on perçoit un même flux d’accumulation porteur de sens, de la «Collectomia» des cartophiles à Aby Warburg et l’Atlas Mnémosyne, aux réseaux sociaux, aux flux textos+images des smartphones, selfies, snapchat. L’affranchissement (timbre, oblitération), implique également une validation symbolique par les services postaux, nationaux à l’époque; l’échange intime ne sera donc pas séparé d’un circuit monétaire et administratif. L’extrait des Carabiniers de Jean-Luc Godard sur la valise de cartes postales déploie avec audace une critique et une subversion de la carte postale comme acte de propriété imaginaire et idéologique. On suit ainsi une grande coupe transversale de l’histoire (avec ses piliers symboliques, monuments ou lieux pittoresques), entrelacée avec des récits familiers, intimes et sentimentaux (lettres d’amour, fierté du progrès, nostalgie des lieux de vacances, de l’ailleurs).
Il y a, avec l’invention de Dominique Piazza, le départ d’un effet boule de neige, le tremplin d’un curieux et fécond amalgame, une prolifération infinie, incessante et vertigineuse de «mots-images».
Paul-Emmanuel Odin
Commissariat
Caroline Hancock et Paul-Emmanuel Odin
Vernissage
Vendredi 15 mai 2015 Ã 18h
Retrouvez le détail des expositions présentées dans le cadre du Printemps de l’Art contemporain 2015