L’été se prolonge à la galerie Michel Rein. Deux séries de vidéos et quelques installations imposent la coloration chaude et piquante du travail de Jean-Charles Hue, jeune artiste français sorti de l’Ecole d’Arts de Cergy-Pontoise et récemment nominé pour le prix Gilles Dusein.
La salle principale est d’ailleurs teintée de rouge. Au centre, une installation en néon dessine la silhouette du corps allongé d’une femme. On devine les cheveux tombant sur ses épaules, le body serré et la jupe qui glisse sur ses cuisses. Le décor est ainsi planté : le signal lumineux rouge en appelle un autre, érotique et diablement entraînant.
Le personnage est accompagné en fond par trois autres installations, un voisinage qui trouve sa cohérence dans l’atmosphère à la fois esthétisant et détonant du parcours. Le regard vient d’abord heurter la beauté scintillante d’un rideau de gourmettes en or éclairé en découpe latérale par un projecteur blanc cru. Sur le mur d’à côté, Jean-Charles Hue expose un chemisier blanc très fin simplement maintenu sur la cimaise par une série de canifs pointés dans le vêtement. Au sol, une guirlande de fête enroulée maladroitement et derrière dans le prolongement, une table de camping basculée vers le sol qui sert de support à des gravures sauvages.
On l’aura deviné, c’est dans le monde hispanique et plus particulièrement celui des gitans que Jean-Charles Hue choisit de nous emmener. Un monde où se côtoie la ferveur religieuse de la communauté et ses immanquables excès de violence.
Dans les deux autres salles, des films courts en finissent de fabriquer le mythe. La première salle montre une série de films réalisés récemment, savant dosage de réalité et de fiction. Les hommes y montrent le plus souvent une brutalité presque malsaine. Les femmes réactivent les désirs masculins et traduisent avec passivité leur domination. C’est le cas notamment pour Sunny Boy (2003), une fiction poétique, à la fois cynique avec la mort et brutale avec le désir, dans laquelle un homme finit par en tuer un autre pour des raisons qui échappent à la narration. Le tout baigne dans une atmosphère moite et s’embourbe progressivement dans le cauchemar. On pense naturellement aux deux premiers films de l’argentine Lucrecia Martel (La Cienaga en 2001 et La Niña santa cette année), à cette atmosphère sauvage accablée par un soleil de plomb, ce que ne contredisent pas les autres courts-métrages, tous empreints d’une imagerie mêlant la violence des situations, la torpeur des corps en présence et une véritable agressivité dans le rapport à l’autre (Quoi de neuf docteur ?ou bien Parabellum Girl, 2003).
Dans la deuxième salle, La BM du seigneur nous immerge dans une réunion gitane où la passion se fait jour. Une passion partagée pour la religion chrétienne et les voitures rutilantes. Jean-Charles Hue filme le balai des voitures sortant du campement le soir, des groupes de jeunes gens défilant dans les phares, d’autres communiant et dansant sous des barnums provisoires. La vie et les rites d’une communauté que l’on connaît mal et que l’artiste décrit sans retenue et sans tabou. Tout en maintenant en éveil son œil d’artiste : il plonge au milieu de la foule un regard d’esthète, lointain comme lorsqu’il filme la fête (le bal, les témoignages de fervents, …), et plaidant toujours pour la qualité formelle de ses images.
En séquences très courtes et très incisives, Jean-Charles fabrique finalement des documentaires qui n’ont pas de prises avec le verbe, où l’analyse se fait distante, voire complètement muette. Réalistes ou fictionnelles, les deux se mélangeant, les scènes qu’il filme ou les objets qu’il produit déclinent avec fascination et avec une crédulité calculée cet univers clos et paradoxal, dérangeants et piquants à souhait, tellement conquis à la chaleur de l’été.
Quitte à ce qu’ils paradent dans la caricature.
Jean-Charles Hue
— La BM du Seigneur, 2004. Master bêta numérique signé et DVD d’exposition. 13’.
— Parabellum Girl, 2003. Master bêta numérique signé et DVD d’exposition. 5’.
— Sunny Boy, 2003. Master bêta numérique signé et DVD d’exposition. 9’.
— Perdonami Mama, 2003. Master bêta numérique signé et DVD d’exposition. 7’30.
— Quoi de neuf docteur ?, 2003. Master bêta numérique signé et DVD d’exposition. 8’50.
— Julo y Julieta, 2003. Néon monté sur plexiglas, gourmettes.
— Sky, 2004. Guirlande lumineuse, éléments organiques, verre. Dimensions variables.
— Chmidt Pursuit, 2004. Table de camping. 60 x 160 x 70 cm.
— La Tarara, 2004. Textile, couteaux, papier, lampe de poche. Dimensions variables