La matinée, terme théâtral désignant en réalité l’après-midi, fut studieuse, empreinte de gravité, riche d’enseignements et, en même temps, distrayante. Ceux qui ont pu se le permettre, ou tout simplement le supporter, se sont privés de dessert et même de quatre heures, pour s’enfermer dans cette belle salle municipale animée par Jean-Louis Vicart.
Comme l’a plaisamment dit Bernard Rémy, après la table verte (cf. le ballet culte de Kurt Jooss), on est passé à la table ronde. Après les films, les extraits de ballets donnés par les élèves des conservatoires de danse et sonorisés par les quatre mains de pianistes issus des conservatoires de musique, on (Anna Markard, Daniel Dobbels, poète et danseur, Michèle Nadal, ancienne danseuse de la compagnie de Kurt Jooss, vedette cinématographique et spécialiste de la notation Conté) est passé aux choses sérieuses.
On a, entre autres, parlé des ballets de Kurt Jooss — dont quatre sur une cinquantaine seulement ont pu être reconstitués: La Grande Ville (1932), Pavane pour une infante défunte (1929), Un bal dans le vieux Vienne (1929) et La Table verte (1932) —, de son rôle de propagateur de la labanotation, de l’importance de la Folkwangschule d’Essen qu’il a créée et dirigée, de ses dons de pédagogue et de son talent de… découvreur de talents — comme Pina Bausch, évidemment, dont l’art s’est toujours maintenu dans la ligne du théâtre-danse de la Folkwang et dont la gestuelle a gardé trace de celle de Kurt Jooss.
On a donc pu voir des extraits filmés en vidéo du ballet La Grande Ville (1932) qui fait partie du répertoire du Ballet du Rhin, dans une captation du début des années 90, puis le tube du chorégraphe, La Table verte (1932), dans la version musclée du Joffrey Ballet (1981), mise en boîte pour la série «Dance in America», montrée dans son intégralité, comme à l’époque, du reste, par les chaînes culturelles américaines — cette émission fut historique, d’après Anna Markard, puisque la télévision diffusa pour la première fois tout un ballet… sans coupure publicitaire!
La participation gracieuse — dans tous les sens du terme — d’Anna Markard, garantit la qualité du travail de transmission d’un répertoire somme toute plus proche du néo-classique que du contemporain — ce, malgré la thématique, très actuelle puisque nous sommes en période de crise ou de spéculation financière, comme à l’époque, des deux créations ; malgré la fluidité et la simplicité d’une danse aux antipodes du spectaculaire ou du maniéré à la française ; en dépit de quelque effet grimaçant emprunté, et pour cause, à l’expressionnisme pur et dur d’une Mary Wigman.