Passé la façade, que sa démesure relative tend paradoxalement à occulter, le premier cube blanc paraît vide. Plongé dans une pénombre hétérogène, son affectation demeure ambiguë. Jeong-A use en effet de la galerie comme d’un atelier éphémère.
Sont repoussés contre les murs, ébauches, matériaux inemployés, déchets divers, et lit. Dans ce désordre apparent, des micro-installations s’insinuent et éclosent comme de véritables petites révélations. Lueurs colorées ça et là , obtenues par le reflet de quelques feuilles A4 de couleurs qui tapissent table à dessin, ou dessous d’étagères blanches. Mosaïques de bracelets élastiques. Échafaudages de morceaux de sucre. Un mur de plus de sept cents photographies aux couleurs tendres fait figure d’inventaire de ces agencements improbables de matériaux pauvres, ou périssables. Autant d’hypothèses de travail démultipliées par un grand miroir, qui absorbe le spectateur dans l’installation, et agrandit virtuellement l’espace.
Koo Jeong-A modèle l’infra ordinaire, en télescopant discrètement les espaces et leurs temporalités. Une fenêtre-vidéo, parasitée par la lumière ambiante, ouvre sur un paysage suspendu entre chien et loup, traversé au loin par le balayage intermittent de phares d’automobiles, comme une unité aléatoire d’un temps indéfiniment étiré.
Derrière un paravent, une porte jaune de géants donne sur une salle éclatante de lumière: une averse de grosses gouttes bleues y est suspendue, figée dans les airs.
Arrêt sur image, nette, finie et lisse, comme un conte pour enfants. Sous la menace des cieux artificiels, deux sculptures: une chaise de bureau déglinguée et une table à deux pieds, qui ont subi l’intervention radicale du trempage dans une laque brune, précédé d’une amputation longitudinale à la scie.
Au fond, une tête, et une main, suspendue elle aussi, qui lui en pince le nez, non pour le boucher, mais pour en aplatir le bout. Incongruité, et humour un peu kitsch, qui se retrouvent dans les dessins d’une délicieuse facture naïve.
On y voit par exemple de pimpantes maisons lilliputiennes posées sur le plancher d’une vaste pièce qui les enferme. Serait-ce un clin d’œil rigolard à l’exposition de Mathieu Mercier qui l’a précédé ici même ? Urs Fischer possède un art certain de la dérision poétique, voire de l’autodérision, en infligeant des changements d’échelles ludiques, ou en les renversant discrètement, aux règles de l’art : les déchets deviennent pièces rares, et les sculptures sans socle entrent en lévitation. L’artiste n’est-il pas cet homme, assis dans un square enneigé, capable d’attirer à lui — ou de projeter dans le cosmos — les flocons-étoiles de l’univers, par la force de son seul regard ?
Koo Jeong-A
— The Daily Mirror, 2004. Miroir. 321 x 200 cm.
— More, 2003. Vidéo. 28’40.
— Sans titre, 2004. Bois, matériaux divers.
— Impressions Offset, 1992-2004.
— Crapule, 2004. Éléments en bois peint et matériaux divers.
Urs Fischer
— Not My Horse, Not My Fire, 2004. Porte.
— Horses Dream of Horses, 2004. Pluie.
— Kir Royal, 2004. Tête.
— Next Time I break an Egg, I Will Think of You, 2004. Chaise et table.
— I Hope The Kitten Finds a Mouse, 2004. Dessin.
— Rainbow Pillow, 2004. Dessin.