C’est un peu comme si le public était entré par effraction dans un studio de répétition, épiant des coulisses la danseuse en train de s’échauffer. Pascal Rambert le dit lui-même, la pièce Knocking on Heaven’s Door, variation sur le morceau culte de Bob Dylan, n’existe pas. Son interprète, Tamara Bacci, se situe en amont de la représentation, n’en dépasse pas le stade exploratoire. Elle rejoue ― car il s’agit bien sûr d’une illusion ― les différentes phases de travail qui mènent à la construction d’un spectacle. La danse est tâtonnement : celui d’un corps qui cherche son langage, et qui fait œuvre justement, dans un étrange aller-retour entre l’intime et l’extime du théâtre.
Sur scène, les lumières restent allumées, encore plus vives de leur réfléchissement sur le sol blanc. Au centre, un monumental ampli Marshall contraste avec la clarté dominante, masse sombre et phallique, puissance vibratoire en dormance. Un ordinateur portable, un sac de sport et une guitare électrique parachèvent l’environnement créatif de la danseuse. Cette dernière construira avec chacun de ces objets une relation personnelle et insolite, les détournant de leur usage. Si anecdotiques soient-ils, ces échanges disent comment un corps, rendu plastique par la danse classique et le yoga, peut reconfigurer un espace et définir un nouveau rapport entre animé à inanimé.
S’en suit une série d’essais chorégraphiques, comme autant de battements, modulations, vibrations, discordances. A partir de la mélodie mythique de Bob Dylan, par ce dialogue inédit avec les acteurs de sa fabrication et de sa diffusion, Tamara Bacci crée une fiction sonore, une représentation d’abord silencieuse de la musique, puis, par la fusion de son corps avec la guitare, une sorte de concert charnel, ses jambes caressant les cordes en des esquisses de notes. La muse se fait elle-même musique, accouplant les deux termes en une seule étymologie, être hybride éphémère, femme-instrument dont nous revient, par flash, la beauté surréaliste.
Si Knocking on Heaven’s Door exprime une fois encore le désir d’exploration de Pascal Rambert, curieux de comprendre un art, la danse, qu’il aborde à peine après des années comme metteur en scène de théâtre, elle doit beaucoup à son interprète. Dans la lignée de la chorégraphe Cindy Van Acker, et d’un certain minimalisme suisse ― repérable du graphisme à l’architecture ― Tamara Bacci livre une danse abstraite d’une grande pureté. Une danse du signe, où le geste, net et lisible, se creuse au fil du temps, s’épaissit à mesure de l’émotion dont il se charge. Le trait, la ligne s’étirent en profondeur. Les lettres deviennent des phrases, elles mêmes défaites et recomposées à l’envi. Tamara Bacci passe ainsi pour l’interprète idéale, capable de donner à voir une danse en train de se construire et, toute en retenue, le plaisir solitaire qu’elle procure.
― Conception / réalisation : Pascal Rambert
― Interprétation : Tamara Bacci
― Musiques : Avril Lavigne, Guns N’ Roses, Bob Dylan