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Kernel

La petite centaine de spectateurs du Kernel de Cindy Van Acker déambule, déboussolée, dans un vaste espace sombre, où les parois noires qui encadrent et délimitent le lieu du spectacle, regorgent d’ouvertures par lesquelles surgissent ou disparaissent les trois interprètes. Dans ce dispositif, le public effectue avec souplesse et docilité des transhumances de part et d’autre de la salle pour tenter d’assister à chacune de ces apparitions, guidé par le jeu des éclairages. Puis, obéissant aux directives distribuées en début de parcours, le groupe constitué pour l’occasion s’assoit, se redresse, puis s’assoit à nouveau …

Comme à la messe, ce cérémonial permet de rythmer la représentation, d’animer ces soixante-quinze minutes de danse qui, de fait, s’écoulent très vite. Les différentes migrations (des corps, des regards) contribuent au travail de diffraction de l’espace scénique, qui n’est plus ordonné selon un plan ou même un cube, mais se redéploie en fonction de l’agencement du public et des surfaces investies par les danseuses. Le spectateur se trouve alors incorporé à la scénographique, intégré au centre de la pièce.

Le Kernel désigne ce noyau informatique, cœur du processeur, qui « permet de mettre en communication les différents composants » de la machine. Il en va ainsi des corps, travaillés par ce centre spatial et conceptuel institué par Cindy Van Acker, qui se mettent à circuler instinctivement autour des danseuses, pour s’en approcher ou leur laisser la place, évitant parfois de justesse la collision. Les trajectoires, si elles sont par avance définies par l’auteur, n’apparaissent pourtant pas évidentes au spectateur, qui, entre surprise et hésitation, cherche sa place.

Mais à l’intérieur de ce ballet improvisé, les trois danseuses enchaînent des mouvements implacables, qui ne sauraient tolérer une seule hésitation : après avoir effectué quelques reptations, pieds hissés dans les hauteurs, en appui sur les murs, elles se regroupent au centre de l’espace pour une succession de mouvements d’automate. La grande maîtrise dont elles font part contraste avec le calme absolu qui règne sur leur visage ; seuls leurs corps portent la trace visible des efforts que réclame la chorégraphie. On oscille entre fascination pour cette parfaite mécanique de chair et lassitude devant une pléthore de mouvements martiaux, auxquels font suite un enchaînement de postures proches du yoga. La qualité des mouvements est soignée, maîtrisée, mais il manque un je-ne-sais-quoi qui nous embarquerait vraiment ailleurs. Vainement on attend le « bug », le « kernel panic », c’est-à-dire la venue d’un évènement qui mettrait en danger l’organisation irréprochable à laquelle on nous a fait participer.
 

— Chorégraphie : Cindy Van Acker
— Interprètes : Tamara Bacci, Perrine Valli, Cindy Van Acker
— Environnement sonore : Mika Vianio (live)
— Lumières : Luc Gendroz, Philip May
— Régie son : Denis Rollet
— Programmation : Philip May
— Costumes : Aline Courvoisier
— Scénographie : Marie Szersnovicz