PHOTO | CRITIQUE

Kati Horna

PFrançois Salmeron
@15 Juil 2014

Le destin chaotique de Kati Horna est indissociable des secousses qui ébranlent l’Europe des années 1920 et 1930, en proie aux guerres et à la montée des fascismes. Témoin des troubles de l’histoire, elle délivre un message humaniste en intégrant à son style photographique les collages, photomontages et surimpressions chers au courant surréaliste.

D’origine hongroise, le parcours de Kati Horna s’apparente à celui d’autres artistes et photographes majeurs du XXe siècle, dont certains connurent comme elle la ségrégation et l’exil forcé en Europe: Robert Capa, Laszlo Moholy-Nagy, André Kertész, Eva Besnyö. A cause des guerres mondiales, de leur appartenance à la communauté juive, ou en raison de leur sympathie affichée en faveur de l’idéologie socialiste, ces photographes hongrois connurent donc une existence mouvementée et souvent tragique dans une Europe à feu et à sang.

Le travail de Kati Horna demeure ainsi indissociable de ses différents exils qui la menèrent de Budapest à Mexico, en passant par Berlin, l’Espagne et Paris. Dès 1930, Kati Horna est effectivement contrainte de quitter son pays natal en raison du régime autoritaire de Miklos Horty qui prend pour cibles les socialistes, les communistes et la communauté juive hongroise.
Elle rallie alors Berlin où elle retrouve d’ailleurs deux de ses illustres compatriotes: Robert Capa qu’elle connaissait depuis Budapest, et qui se photographient d’ailleurs l’un l’autre; et Laszlo Moholy-Nagy, figure éminente du Bauhaus, théoricien de la Nouvelle Vision et grand expérimentateur du médium photographique. Laszlo Moholy-Nagy explore notamment, en même temps que Man Ray, les possibilités qu’offrent le photogramme et le photomontage, deux procédés que Kati Horna s’attachera elle aussi à exploiter tout au long de sa carrière.

Photogramme et photomontage apparaissent également comme de nouvelles techniques artistiques que les surréalistes, influencés encore par la figure de Man Ray, affectionnent tout particulièrement. Kati Horna se rapproche d’ailleurs du mouvement d’André Breton dès son arrivée à Paris en 1933. Car sitôt installée à Berlin, elle doit de nouveau fuir la capitale allemande à cause de l’avènement du nazisme.
On découvre en effet la série Marché aux puces, dont le titre évoque immanquablement les balades de Breton et Giacometti à la brocante de Saint-Ouen en quête d’objets à récupérer, assembler et exposer tels quels. Les clichés de Kati Horna révèlent un bric-à-brac d’objets délaissés, matérialisant la fameuse formule de Lautréamont, dont les surréalistes ont fait leur devise et leur propre définition de la beauté: «la rencontre fortuite d’un parapluie et d’une machine à coudre». On y perçoit donc de vieux tableaux, des commodes et du vieux mobilier, des vases, des statuettes et des bibelots entremêlés. Mais surtout, Kati Horna se focalise sur des poupées et des mannequins, souvent décapités, manchots ou démembrés, eux aussi si chers à Breton et sa bande, afin d’illustrer «l’inquiétante étrangeté» du quotidien, à travers ces objets mornes pouvant néanmoins se faire passer pour des êtres vivants et animés.

L’influence que le surréalisme exerce sur Kati Horna se perçoit également dans la série Hitlerei, où la photographe déroule une courte narration sarcastique à partir d’œufs peints, dont certains représentent le dictateur allemand. Cet humour grinçant et ravageur à l’égard du Führer n’est pas sans rappeler l’univers de Chaplin ou Le Minotaure d’Erwin Blumenfeld. Ici, Kati Horna photographie un œuf dans un cocotier, au regard hystérique et à la petite moustache sévère. Il harangue la foule à ses pieds, avant de se faire aplatir par la main de l’artiste, qui apparemment, souhaiterait par-là faire taire les discours haineux et racistes alors si répandus en Europe.

L’œuvre de Kati Horna peut ainsi se définir comme une poétique de l’objet s’inspirant du surréalisme. Toutefois, elle affirme également des dispositions pour le photoreportage, notamment à travers la série des Cafés de Paris, où elle photographie des terrasses, comptoirs ou banquettes de bistrots caractéristiques de la Capitale.

Les deux pendants de son œuvre fusionnent finalement dans le reportage que le gouvernement républicain lui commande afin de couvrir la guerre civile espagnole à partir de 1937. D’une part, son travail nous documente sur les conditions de vie de la population espagnole lors du conflit. En cela, elle prend plus de recul que son ami Capa qui, quant à lui, va directement sur le front et photographie les soldats au combat ou les retraites des vaincus. Dès lors, Kati Horna parcourt l’Aragon, Barcelone, Valence, Madrid ou l’Andalousie, pour y photographier une mère donnant le sein à son enfant, des femmes lavant le linge au lavoir public, ou une réunion anarchiste. Les enfants dans les rues ont l’air égarés, on sent leur regard perdu. Le désespoir des femmes se lit sur leur visage buriné de rides, coiffé d’un foulard noir.

D’autre part, Kati Horna approfondit ses travaux sur le photomontage, et délivre par-là un message politique fort envers les républicains et les valeurs humanistes. Les photomontages lui permettent effectivement d’associer librement différentes images et ce, afin de faire émerger à partir de leur combinaison un nouveau sens symbolique. Elle superpose par exemple des visages de civils en souffrance sur des paysages urbains délabrés. Un unijambiste soulève son enfant alors que l’aviation franquiste approche au loin. Des squelettes menacent des enfants innocents endormis. Les murs d’une église sont criblés de marques de balles et recouverts d’affiches de propagande républicaine, dénonçant en cela le soutien du clergé au camp franquiste. Les clichés de Kati Horna paraissent notamment dans la revue anarchiste Umbral, où elle fait d’ailleurs la connaissance de José Horna, qui deviendra son mari.

Arrêté et enfermé dans les camps de réfugiés de la frontière franco-espagnole, José Horna est finalement libéré par Kati. Le couple retourne alors à Paris en 1939, mais fuit bientôt l’Europe où éclate la Seconde Guerre mondiale. Avant de s’installer au Mexique, Kati Horna réalise toutefois quelques dernières séries sur le sol français, dont Lo que se va al cesto (Ce qui part à la corbeille), dont les papiers froissés et les mégots écrasés matérialisent la fin des idéaux humanistes et pacifistes. La série Munecas del miedo, incarne encore la jeunesse et l’innocence sacrifiées à travers des poupons disloqués, vêtus de haillons, au visage ravagé, déchiqueté, voire brûlé.

Malgré son exil au Mexique, certaines thématiques abordées lors des heures sombres de l’Europe perdurent dans l’œuvre de Kati Horna. Ses reportages se focalisent notamment sur les asiles psychiatriques. On y retrouve les visages d’enfants hurlants, rappelant les bambins espagnols égarés dans les rues en ruine, ou les mines déconfites des aliénés. Surtout, elle devient la portraitiste des artistes, dramaturges et architectes de l’avant-garde mexicaine (Benjamin Péret, Alejandro Jodorowsky, Alfonso Reyes, Edward James). Elle les suit dans leurs ateliers, photographie leurs œuvres ou leurs pièces de théâtre. La reconnaissance que l’on prête à son œuvre de photographe lui vaut d’enseigner à l’Université (1958-1963), puis à l’Ecole nationale des arts plastique à partir de 1973.

Parmi l’une de ses séries mexicaines les plus marquantes, on retient tout particulièrement Oda a la necrofilia. Elle met en scène une silhouette mystérieuse toute vêtue de noir, priant et se lamentant au pied d’un lit où luit une bougie et git un masque posé sur un oreiller. La portée funèbre de cette œuvre s’accompagne de Paraisos artificiales, dont les expérimentations visuelles se traduisent notamment dans les clichés du Botellon, derrière lequel se cache une figure féminine. La culture des masques est également omniprésente dans Mujer y Mascara, rappelant le folklore des arts primitifs, et dans Remedios Varo, où un profil de femme s’accompagne d’un masque présenté de face, composant en cela un portrait quasiment cubiste.

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