Artiste d’origine bosniaque installé au Pays-Bas, Igor Sevcuk a suivi pendant l’été 2003 l’orchestre d’Utrecht interprétant la Messe en si mineur de Bach à travers les villes de Yougoslavie. Entre deux représentations, filmées elles aussi et qui semblent donner le « la » au présent, Igor Sevcuk a laissé glisser sa caméra sur les murs d’un quotidien perdu, penché son regard sur ses reflets et présente à Public la trace de ce voyage particulier.
Dans cet entremêlement d’images et de textes, les apparitions de l’orchestre s’opposent presque inévitablement au délire d’un chien enragé au prénom suédois, Kalle. De leur confrontation naît un rythme tendu, inconfortable.
La vidéo d’Igor Sevcuk mime les procédés de la mémoire avec ses jeux de flous et de mises au point, et ses anecdotes qui se confondent comme réalité et fiction le pourraient une fois passées dans la machine du souvenir. Comme la mémoire, Kalle et les autres pièces présentées dans l’exposition se moquent des couleurs, à l’exception des couleurs du présent et du rouge et du vert, complémentaires dans la guerre et tenaces.
Le montage des vidéos, tranchant, traduit avec les images et les textes le malaise de quantités d’inadéquations au jour le jour (petites et grandes, ou :  » comment mettre ses chaussures « ) en même temps qu’il laisse place à d’autres sensibilités pour s’infiltrer, conservant ainsi un espoir de douceur. Ou peut être de salut ?
L’œil est ici le miroir d’une âme qui n’est pas tranquille avec son identité, interrogée elle aussi dans cette exposition: photographie ancienne d’une famille, carte mentale où se confondent géographie d’un prénom, présent et histoire, anamorphose d’un chien avec lequel on détecte, peut être, une identification.
Les compositions d’Igor Sevcuk, collages, juxtapositions, voire amalgames (l’USKO, Utrecht Studenten Koor en Orkest devient-il aussi un parti politique ?) réveillent les conflits et tensions relatives à l’éclatement d’un pays.
Mais si le langage utilisé est, entre autres, celui de la mémoire, n’a-t-il pas comme elle, comme le chien condamné, ni queue ni tête ? Devant les questions soulevées par les assemblages identitaires, religieux et politiques (terrains soigneusement glissants) d’Igor Sevcuk, il semble délicat de chercher des réponses arrêtées.
On se souviendra plutôt qu’à l’image du chien, l’homme sans territoire tournera et retournera toujours sur une agressivité qui le condamne. Ici, qu’elle soit statique ou en mouvement, l’errance semble paradoxalement s’être installée pour durer, à moins que l’on ne trouve un artifice matériel qui procurera la satisfaction primitive de l’attachement : un toit (une niche ?), un prénom ?