L’exposition de Régine Kolle se déploie dans toute la profondeur de la galerie Alain Le Gaillard en six toiles peintes à l’huile et deux vidéos.
Le figuratif dans cette œuvre relève d’une imagerie aux connotations diffuses. Les motifs nous sont familiers sans toutefois permettre d’identification précise. Les figures mises en scène s’affichent avec nonchalance comme les protagonistes de fictions sans histoire, les caractères sont méchamment suggérés, les expressions mal dégrossies. L’absence d’action, la gestuelle stéréotypée comme l’indigence de la pose instaurent à l’image une sorte de banale arrogance qui s’impose au spectateur voyeur avec puissance et persistance. L’attraction de ces images repose sur une complicité feinte. Cela nous rappelle bien quelque chose, mais quoi ? Il y a là du déjà vu que l’on cherche vainement à percer, et qui effectivement persiste sans se révéler. C’est alors qu’avec évidence surgit le tableau.
La pauvreté du motif déconcerte et fascine. L’image crue, évidée, retient notre attention dans sa propension à se débarrasser de tout artifice, de tout faux-semblant. Exit les paillettes, le clinquant, le tape à l’œil, n’a été retenu que l’essentiel, le basique. Images résiduelles faites de résidus de motifs, ces compositions élèvent au rang de tableau l’iconicité la plus basse. Régine Kolle invente l’image sans qualité.
Au-delà de ce que ne raconte pas cette image, pour comprendre comment elle fonctionne (c’est-à -dire comment elle y parvient), il faut s’attarder sur ce qu’il est possible de déceler comme quelques principes iconiques récurrents, qui à aucun moment pourtant ne font système.
Le cadre, par exemple, se resserre parfois sur le motif. Il le débarrasse de l’excédent, le sectionne, l’ampute. C’est aussi l’inverse ; le motif s’étale, sature la composition, bouche la vue.
L’ordonnance générale du tableau mise généralement sur la frontalité. Simplifiée à l’extrême, l’image tend vers le cloisonné. La couleur relève d’une gamme réduite. Le dessin, quant à lui, découpe clairement l’espace sans l’assurance de la ligne claire. Les signes sont en nombre restreint. Tous cela participe d’une économie ingénieuse qui confère, encore une fois, à ces images une absence de qualité qui fait tableau.
La facture y est pour quelque chose. La toile écrue n’est pas enduite ou rarement, la trame transperce. La pâte colorée est grossièrement étalée à sa surface. La ligne est grassement tracée. L’huile déborde généreusement, imprègne la fibre textile, diffuse la couleur. C’est l’anti-artifice, l’anti-métier dans sa conception académique. C’est une peinture qui fait tache d’huile. Et de la sorte, l’image s’aplanit, se répand sur l’écran de la toile, s’écrase, « s’écranise » pourrait-on dire. C’est peut être l’effet retour, d’une existence accrue de l’image sur écran.
La peinture reprend son droit d’origine sur l’image. Mais entre temps, l’image s’est modifiée presque génétiquement. Plus mutante que mouvante, plus mécanique qu’artisanale, plus banale que pittoresque, plus indicielle qu’iconique, plus figée qu’instantanée, plus stéréotypée qu’idéalisée, les conséquences de cette nouvelle technologie de l’image n’ont pas finies d’être commentées. Et c’est en premier lieu, le rôle de la peinture. Régine Kolle l’a compris.
Il ne reste qu’à apprécier le cas particulier de chaque toile qui, en vérité, déploie à chaque fois ses propres règles. Leur séquence instaurée par l’accrochage, fait bien apparaître les variations stylistiques, les repositionnements permanents de la démarche. Le but n’est pas d’établir un style. C’est plutôt de se faufiler entre plusieurs et d’en changer comme d’image. La vidéo est une peinture animée. Elle affirme (confirme) cette origine, cette référence implicite des images (le dessin animé, la bande dessinée) en même temps que sa perspective.
Enfin, au delà de ces considérations un peu théoriques, les toiles de Régine Kolle sont parfaitement drôles, subtilement décalées, joyeusement criardes. Leur univers narratif navigue entre le grinçant et le douillet, le burlesque et le doucereux, sur un ton, sans hésitation, aussi flegmatique que désinvolte. C’est réjouissant.
Lien
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Régine Kolle :
— Venice Palace, 2001. Huile sur toile. 30 x 40 cm.
— Black Belts, 2002. Huile sur toile. 86 x 122 cm.
— The Third Color, 2002. Huile sur toile. 67 x 86 cm.
— Eathconnection, 2003. Huile sur toile. 35 x 45 cm.
— Black Belts, 2002. Huile sur toile. 86 x 122 cm.
— Koksgirls, 2001. Huile sur toile. 132 x 190 cm.
— Dead Jack, 2002. Huile sur toile. 60 x 76 cm.
— Kay-y #1-5, 2002. DVD, 12’.
— Pilot, 2001. DVD, 7’.