Pierre Canaguier
Juste un avion dans le ciel
L’artiste voit encore sa grand-mère Maria en train de coudre sur ses recommandations un coupon de serge noire pour lui confectionner un manchon étanche à la lumière. Cela lui a permis de développer ses films n’importe où, même en plein jour et sans chambre noire. «Toi, tu seras photographe», lui avait-elle dit. C’était au tout début des années 70. L’artiste s’amusait beaucoup et sans prétention avec le développement, le tirage, les produits, les expériences. Et puis il a apprit le métier, les techniques et même une certaine rigueur. En noir et blanc, pas en couleur. La couleur était restée pour lui comme un terrain de jeu autour des questions «photographier en couleur ou la couleur?», «représenter ou interpréter?»… Jusqu’à ce que les technologies du numérique réussissent à le plonger dans le grand bain chromogène.
Depuis quatre ans, l’artiste utilise un appareil plus petit et plus léger que ces habituels reflex 6×6. Et, qui plus est, doté d’un viseur rectangulaire et à hauteur d’oeil. Ces nouvelles pratiques l’ont-elles fait changer? L’artiste a le sentiment qu’elles l’ont d’abord déstabilisé, ce qui est une excellente chose, et en conséquence régénéré. Le terrain de jeu reste le même: les espaces naturels ou habités où le hasard l’emporte. L’intérêt qu’il manifeste pour ces lieux n’a lui aussi guère bougé: rien de particulier ne s’y passe, ils sont sans grande originalité, familiers… «Juste un avion dans le ciel» peut à la rigueur attirer l’oeil! Plus encore qu’avec le noir et blanc et le format carré, le photographe prend le risque de s’aventurer sur les franges de ce que l’on appelle un «cliché». La couleur lui donne envie de frôler de plus près le danger de l’image facile et belle, colorée, déjà vue. Et au dernier moment, quand la banalité de la beauté s’affiche plein cadre dans le collimateur, chercher s’il est possible d’infléchir la visée pour toucher à la beauté de la banalité.