Darren Almond, Jean-Louis Aroldo, Eric Baudelaire, Marc Bauer, Philippe Decrauzat, Nicolas Delprat, Paul Graham, Eberhard Havekost, Philippe Hurteau, Emmanuel Lagarrigue, Mathieu Mercier, Platino, Ida Tursic et Wilfried Mille
Just with your eyes I will see
Parménide, le philosophe présocratique, est le premier dans les annales de l’Histoire occidentale à avoir systématiquement établi que le monde n’est pas tel que nous le voyons, car un voile existe.
Saint Paul exprime une idée assez similaire quand il dit que nous voyons « comme une réflexion au fond d’un plat en métal poli ». Il se réfère à la fameuse notion platonicienne selon laquelle nous ne voyons que des images de la réalité, des images sans doute inexactes et imparfaites auxquelles on ne peut guère se fier.
J’ajouterai que cette idée de Paul complique quelque peu la fameuse métaphore de la caverne de Platon, du fait qu’il semble indiquer la possibilité que nous voyions l’univers à l’envers. (Philip K. Dick, Hommes, androïdes et machines, in Si ce monde vous déplaît… et autres récits, L’Eclat, 1998, pp.87-88).
« La seule chose à faire est de se désaccoutumer. Alors, soudain, on voit quelque chose ». Louis Zukofsky
Pour la neuvième année consécutive, le Frac Auvergne présente un extrait de sa collection au Fonds d’art moderne et contemporain. Si les années précédentes auront permis d’explorer les thèmes de l’engagement politique, du langage, du paysage, de la transformation poétique par l’art… cette nouvelle exposition, dont le titre « Just with your eyes I will see » reprend l’intitulé d’une oeuvre, s’attache à la question du regard et, plus précisément, à la manière dont les artistes transfèrent aux spectateurs une certaine manière de voir leurs oeuvres.
Pour reprendre la phrase du poète Louis Zukofsky, la seule manière de regarder l’art est certainement celle qui consiste à accepter de se désaccoutumer des habitudes visuelles qui sont généralement les nôtres pour adopter un mode de regard plus affûté, plus sensible, dont les codes sont parfois très éloignés de ceux que nous appliquons inconsciemment au quotidien dans notre façon d’appréhender la réalité et le monde.
Les artistes réunis dans cette exposition proposent une pluralité de regards qui, incontestablement, ne peut qu’aiguiller le spectateur de leurs oeuvres sur la grande difficulté que nous avons tous à comprendre ce que nous voyons.
Si Philippe Decrauzat, Ida Tursic et Wilfried Mille ou Mathieu Mercier proposent des situations optiques pures, Darren Almond et Paul Graham s’interrogent sur la représentation de l’événement ou du fait politique par un simple paysage ; Marc Bauer livre une représentation de souvenirs tragiques mêlant dessin et littérature ; Nicolas Delprat pose la question de notre incapacité à fabriquer des souvenirs fiables ; Eberhard Havekost pose les principes d’une réalité toujours falsifiée dans notre manière de la percevoir ; Jean-Louis Aroldo travaille sur la transposition d’instantanés cinématographiques en dessins…
Le monde n’est pas tel que nous le voyons, car un voile existe, et l’une des fonctions de l’art consiste probablement à lever partiellement ce voile pour qui veut bien voir.