Samuel Richardot
Jupiter éclipse
Samuel Richardot est engagé dans une recherche picturale qui, bien que traversée par le minimalisme, témoigne d’un intérêt certain pour le potentiel expressif, voire lyrique, d’expérimentations sur les formes et les matières, en ménageant même une place pour le hasard, l’accident.
Chez Richardot, le tableau affirme sa présence et sa matérialité sans toutefois renier un goût pour l’anecdote, l’histoire ou le ressenti que renferme un motif, souvent prélevé dans l’environnement de l’artiste, qui lui fait ensuite subir de multiples mutations.
Une atmosphère onirique émane de ses œuvres, et permet aisément au regardeur d’y projeter ses propres sensations, même si les sources des formes qui essaiment la toile sont rarement perceptibles.
Le titre de l’exposition, «Jupiter Eclipse», évoque une esthétique «S.F.» qui renvoie à un élément clé de l’imaginaire de l’artiste, nourri des illustrations fantasmatiques des livres de science-fiction dont regorgeait la bibliothèque de son père.
Les Å“uvres de Samuel Richardot produites de 2007 à 2011 peuvent être réparties en deux groupes, comme l’écrit Simone Menegoi à l’occasion de son exposition personnelle au Frac Languedoc-Roussillon à Montpellier en 2011:
«D’une part, des toiles de dimensions réduites, dans lesquelles l’artiste expérimente des médiums et des techniques dans un esprit quasi analytique, en utilisant un seul processus à la fois et en se concentrant sur un seul effet.
D’autre part, de grands tableaux de deux mètres et demi sur deux mètres sur lesquels, à partir des techniques mises au point dans la peinture de chevalet (qui comprennent l’acrylique et l’huile, ainsi que des combustions et des lignes de ruban adhésif), il fait apparaître des présences isolées, suspendues dans la blancheur de la toile.»
À ces deux approches de la peinture s’ajoute une troisième pratique, qui relève davantage de l’installation: les objets, photographies, papiers, cartons peints ou découpés, qui dans l’atelier lui servent de matériau d’expérimentation sont remployés par l’artiste pour former des compositions sur de grands plateaux horizontaux; elles rendent visible son processus de création au sein de l’espace d’exposition, et informent le regardeur sur les origines de son répertoire de formes peintes, tout en constituant des œuvres à part entière, qui peuvent se suffire à elles-mêmes.
Depuis 2012, poursuivant son cheminement, Samuel Richardot développe une série de grands formats verticaux dans lesquels les motifs qui composent son vocabulaire singulier ne se trouvent plus isolés sur de grandes surfaces blanches, mais dialoguent par l’intermédiaire de subtils aplats de couleur finement dégradés ou estompés.
On peut ainsi y voir de franches juxtapositions de zones colorées clairement délimitées, dont la rigueur est sans cesse contredite par des effets de textures, de transparence, et surtout par le surgissement de formes, élémentaires mais presque organiques, qui semblent se mouvoir d’une zone à l’autre de la toile.
«Samuel Richardot ne se réfugie pas derrière l’alibi d’un sens de lecture. Loin de se présenter comme un continuum, le tableau se permet au contraire le luxe d’une composition décousue, les formes semblant indépendantes, voire indifférentes les unes aux autres.
La précision des contours, préparés au ruban adhésif de manière à éviter les débords, renforce cette impression d’autonomie. Le tableau est un archipel où chaque îlot de peinture semble menacer de faire sécession, mais est rattrapé aussitôt au vol par des effets de surface et de matière.
L’acrylique et l’huile imitent ici l’aspect délavé de l’aquarelle et de ses couleurs translucides.
La toile a été trempée. Rien ne peut vraiment tenir. Sa seule rambarde est alors le contour de scotch avec lequel il forme un mince creuset. Une flaque de peinture y est versée. Elle sèche en une nuit.
L’eau s’évapore, se retire, et laisse des traces d’écume sur la toile, des traces fluides, vaseuses et marécageuses. Samuel Richardot applique une démarche radicale devenue très courue: le peintre n’a pas entièrement la main sur le tableau qui se fait de lui-même.»(Judicaël Lavrador, les inrockuptibles, 2010).