DANSE

Jungle Science

PPhilippe Godin
@24 Jan 2010

Dans sa nouvelle exposition à la galerie Aline Vidal, Jean-Luc Vilmouth reprend des pièces déjà présentées, en les augmentant d'œuvres nouvelles consacrées à recueillir les traces de rencontres faites avec des peuplades et des terres de l’Amazonie. Ou comment augmenter l’écologie d’esthétique?

Dans le contexte du fiasco du sommet de Copenhague, de la mort de Claude Lévi-Strauss, et du débat sur l’identité, cette exposition de Jean-Luc Vilmouth a le mérite d’être d’une certaine façon intempestive en nous invitant à reconsidérer des thématiques loin des simplifications parfois hâtives d’une écologie de bazar.

L’exposition est répartie sur trois niveaux. Dans la première salle, on est capté par un jeu de lumières subtiles dominées par le vert (provenant d’un dispositif en forme de bibliothèque orné de deux néons) et par des couleurs irisées de mauves et d’orangés diffusées par un étrange tableau.
Dans la première installation (en forme de bibliothèque) un agencement recouvre deux grands néons déclinant les mots «Jungle» et «Science».

On reconnaît là des constantes du travail de Jean-Luc Vilmouth: «l’augmentation», l’usage des néons et le jeu des lumières ; la rencontre improbable des matières naturelles avec les objets culturels. Depuis près de trente ans, Jean-Luc Vilmouth s’applique en effet à «augmenter le réel» à partir de variations comme l’extension, l’étirement, l’épaississement, l’évidemment, etc., qu’il fait subir aux ustensiles de la vie quotidienne (marteaux, horloges, néons, etc.).

La présente exposition poursuit ainsi cette variation sur le thème de l’augmentation. Elle est d’ailleurs une véritable «augmentation» puisqu’elle est composée d’une installation centrale Jungle Science relativement ancienne (1998) à laquelle s’ajoutent diverses pièces. Il s’agit de conserver les traces de rencontres avec une population et une nature menacées par des exploitations minières acharnées, et une forêt en proie à une déforestation sans limite.

En relation avec un ethnologue, Jean-Luc Vilmouth a effectué, en 1996-1997, deux séjours en Amazonie, à la frontière du Brésil. L’installation Jungle Science est constituée de deux néons devant lesquels cinq longues étagères accueillent une cinquantaine de cylindres transparents comme autant de bocaux d’une pharmacie hypothétique. Ces sortes de bocaux contiennent différents objets (plumes d’oiseaux, ailes de papillons, photos d’Indiens Yanomami, peignes, grigris utilisés par les chamanes, perles, colliers, bâton de pluie, etc.) témoignant de la culture des habitants de l’Amazonie; mais aussi des matières et des éléments naturels extraits de cette terre.
Équivoques, les étagères suggèrent aussi bien une collection que les images de la bibliothèque, de la pharmacopée, de la collecte anthropologique et de la boutique aux enseignes lumineuses.

Cette pièce qui donne son titre à l’exposition est donc le fruit des échanges que Jean-Luc Vilmouth a eus avec les Indiens Yanomamis du Venezuela. On retrouve bien là cette thématique centrale de son Å“uvre: le voyage, l’échange, la rencontre des univers hétérogènes : Jungle/Science..

L’indétermination au niveau de la lumière est tout aussi riche de sens métaphoriques que source de plaisirs sensoriels. La couleur vert émeraude peut renvoyer au thème des plumes d’oiseau dans les rituels et le chamanisme. Les Amazoniens chassent les oiseaux et en font l’élevage afin d’obtenir le nombre de plumes et de couleurs souhaitées pour leurs parures. Ces hommes-oiseaux se fondent ainsi dans l’univers qu’ils habitent.
La lumière verte peut aussi renvoyer à la «forêt d’émeraude» amazonienne détruite par le marteau-piqueur (pièce clé de l’expo), qu’à la pierre précieuse qui finira dans la boutique-étagère exposée plus haut

A l’opposé de cette fluidité lumineuse, il y a la rudesse, la fermeté et la dureté du marteau-piqueur exposé au sous-sol, ironiquement titré Marteau –piqueur dans le sol.
Véritable augmentation concrète: le marteau piqueur étant encastré dans le sol de la galerie, de couleur terre à cet endroit.
Mais aussi, jouant sur le mot même, «piqueur» pouvant aussi signifier l’outil qui s’approprie les richesses… La réussite de cette pièce tient en outre à ce qu’elle dessine dans sa forme même la carte de l’Amérique latine (le cordon électrique est lui-même encastré dans le sol jusqu’à une porte, métaphore du transport et du vol des marchandises vers un Occident colonial replié sur lui-même !)

A propos de la première vers de l’exposition «Jungle Science» Jean-Luc Vilmouth déclarait: «Ce sera en même temps séduisant et triste, car tout le monde sait que la forêt amazonienne est en train de disparaître. Riche en diamants, elle est l’objet de la convoitise de toutes sortes de destructeurs. Avec cette installation, je souhaite mettre le spectateur en face de quelque chose qui va disparaître».

Cette exposition reprend cette longue thématique de Jean-Luc Vilmouth: comment «faire durer»? On la retrouve évidemment dans la photographie couleur Un pied sur terre rappelant tout autant le passage précaire du peule amazonien qu’une forme de sagesse du contact. Cette sagesse que symbolise une autre photographie, Entre toi et moi, d’un flacon en cristal Lalique contenant un parfum créé (avec Jean-Pascal Osmont, nez de chez Quest) à partir de l’arbre Yaku, vieux de 3000 ans, vivant sur l’île de Yakushima au Japon

La photographie Entre toi et moi reprend le projet délirant non réalisé «Entre toi et moi» (1999) consistant à «proposer un échange, un rapport entre le centre Georges Pompidou et une éolienne, une sorte de conversation entre deux unités qui produisent de l’énergie, du rêve».

Cette idée (écozoophique) qui mêle déjà l’écologie et l’art est reprise dans un insolite dialogue entre Jean-Luc Vilmouth et un vieil arbre du Japon, sérigraphié près de la photographie du vase. Il s’agit bien, une nouvelle fois, de garder une trace sensorielle d’une rencontre d’un type que l’odorat, la plus archaïque de notre sensibilité, peut être seul capable de conserver.
Jean-Luc Vilmouth interroge le cèdre trois fois millénaires sur le mystère de sa longévité (et non sans humour sur sa sexualité), à quoi le cèdre répond: «J’ai surtout vu que les hommes changeaient sur un point: ils vont de plus en plus vite».

Nullement nostalgique, cette fascination pour la vieillesse est plutôt inactuelle, intempestive. Jean-Luc Vimouth réconcilie des démarches apparemment contradictoires: une esthétique classique dans son contenu, et une pratique qui intègre les éléments les plus novateurs de l’art contemporain (installations, multisensorialité, interactivité, etc.)

Ainsi, la dernière Å“uvre de l’exposition est ce parfum étrange et pénétrant, extrait du vieux cèdre. Le parfumeur Jean-Paul Osmont le définit comme «essence de sagesse, d’un microcosme, empreint d’humidité, de racines et d’insectes». Convoquer l’odorat du visiteur s’inscrit dans une esthétique qui met en jeu la multiplicité des sens, qui agence des données visuelles, odorisées, ouvrant ainsi à une dimension métaphorique qui nous invite à questionner ce monde.

Non ce n’est pas la nature qui est en danger, c’est la culture qui est aujourd’hui menacée. Une certaine capacité à habiter et à regarder le monde, la nature, mais aussi les objets, les outils, et les œuvres d’art comme celles de Jean Luc Vilmouth.

Liste des œuvres
Jean-Luc Vilmouth
— Jean-Luc Vilmouth, Jungle Science 4, 2007. Néons, étagères, bocaux en verre, photographies, divers objets d’Amazonie. 290 cm x 500 cm x 37 cm
— Jean-Luc Vilmouth, Comme une nuit étoilée, 2009. Bois perforé, néons. 130 x 130 x 12 cm
— Jean-Luc Vilmouth, Dans le sol, 2009. Marteau piqueur, sol. 94 x 28 cm
— Jean-Luc Vilmouth, Un pied sur terre, 1997-2009. Photographie couleur. 30 x 40 cm

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