Membre fondateur de la Judson Church à New York, Lucinda Childs s’est imposée également par ses multiples collaborations avec des créateurs et compositeurs, parmi lesquels Robert Wilson, Philip Glass ou encore Steve Reich. Son attachement pour la danse minimaliste a d’ailleurs marqué la scène internationale.
Organisée sous les auspices de la SACD, dans le cadre de son programme «Le Vif du sujet», véritable espace de création et d’expérimentation pour chorégraphes et interprètes venant d’univers différents, sa rencontre avec Lenio Kaklea — danseuse dont la première pièce en tant que chorégraphe avait été remarquée lors de la dernière édition des Inaccoutumés à la Ménagerie de verre —, est à l’origine d’une proposition surprenante, précieux alliage de rigueur sérielle et de liberté sensorielle.
Chacune des deux artistes explore des territoires nouveaux. La jeune interprète collabore également à l’écriture du mouvement. Tout en se gardant de l’essentialisme et de l’emploi de catégorisations hâtives, il est intéressant d’observer comment les lignes de fuite de deux parcours se déplacent jusqu’au point où la rencontre devient possible. L’intitulé du solo assume pleinement cette dualité.
D’entrée de jeu, le dispositif scénique s’impose par une forte dimension plastique: écran de projection, rideau et voile, drapé enfin pour cette Victoire de Samothrace résolument contemporaine.
Ce sont d’abord des images qui s’y inscrivent, des lèvres pulpeuses et espiègles, semblant nous chuchoter une histoire qui échappe pourtant aux règles du langage. Libre à chacun de suivre le fil de son imaginaire. La lumière devient dense dans l’âtre à la fois protégé et exposé aux regards derrière le voile de transparence.
Le corps qui y évolue semble se repaître de cette aura douce et persistante. Enfin la membrane se déchire. Lenio Kaklea s’enrobe dans des lambeaux de tissus. Une forme de présence extraordinaire anime chacun de ses mouvements. Des figures de la mythologie grecque semblent hanter le plateau.
La force de cette danse imaginée par Lucinda Childs réside dans le fait de pouvoir les accueillir. Ses structures répétitives s’amplifient et se contractent, parfois se figent dans une pose qui emprunte la majesté et la fluidité du marbre. Les excellentes qualités d’interprète de Lenio Kaklea sont subjuguantes, elles nous intiment de rester attachés à l’ici et maintenant de l’exécution d’une danse qui respire des incantations secrètes et nous entraine vers les berceaux immémoriaux.