Julien Prévieux
Julien Prévieux
Julien Prévieux fait dévier les protocoles dont nous sommes tous des acteurs plus ou moins conscients. Ainsi, dans son projet le plus connu, celui des Lettres de non-motivation, il démonte la procédure de recrutement en répondant négativement à des offres d’emploi, retournant contre elles-mêmes les méthodes d’embauche des entreprises et leur logique machinique.
Cette manière de faire, proche de l’absurde, est visible dans l’exposition présentée au Frac Basse-Normandie, regroupant un ensemble d’oeuvres existantes et de nouvelles productions de l’artiste. Ainsi, Menace 2 (2010), rejoue une expérience fondatrice de l’intelligence artificielle des années 60 dans laquelle un meuble, doté de quelques 304 tiroirs, apprend à jouer au morpion. Étagée avec de petites boîtes en bois contenant des billes de couleur, cette «sculpture-machine» s’améliore lorsqu’on joue avec elle, jusqu’à devenir imbattable. Deux nouvelles Å“uvres prolongent le jeu: un labyrinthe, dans lequel une souris électro-mécanique apprend à retrouver une cible, et un «jeu de la vie» qui s’inspire du «Game of Life» de John Conway. Ce mathématicien a testé son modèle mathématique sur le sol de sa cuisine: à partir de règles simples, les assiettes posées sur le carrelage forment des motifs imprévisibles qui se multiplient. Des phénomènes complexes propres au vivant venaient d’émerger avec un peu de vaisselle et quelques carreaux….
Pour compléter l’installation, une pièce sonore, Where is my mind?, vient éclairer la relation homme/machine par le récit à la première personne d’un scientifique ayant mis au point un scanner de cerveau portatif. Une série de dessins réalisée en 2011 lors d’un atelier mené avec des policiers est également présentée: «L’objectif de cet atelier était d’apprendre à tracer manuellement des «diagrammes de Voronoï» à partir de cartes recensant des délits récents. Ces diagrammes, très utilisés aux Etats-Unis mais pas encore en France, font partie des outils d’analyse cartographique destinés à visualiser les crimes en temps réel pour déployer les patrouilles en conséquence» (Julien Prévieux).
Un logiciel trace habituellement ces schémas sur ordinateur, à partir des crimes et délits recensés, pour mieux orienter les interventions des policiers. Convertie en protocole manuel, la méthode perd toute son efficacité, les diagrammes sont obtenus trop tard, mais elle y gagne en produisant des discussions sur les techniques d’optimisation de la police et une série d’étranges dessins géométriques.
L’exposition est aussi l’occasion de venir feuilleter quelques livres de La totalité des propositions vraies (avant) (2009), bibliothèque rassemblant des centaines d’ouvrages obsolètes, sauvés in extremis du pilon, dans une tentative de protéger un savoir désuet ou perdu. Face à cette archive du savoir périmé, des tableaux aux motifs géométriques reprennent le graphisme de couvertures d’ouvrages datant des années 1970 dont le titre devient secondaire et qui révèlent l’obsolescence de ces motifs qui se voulaient futuristes. Ici les connaissances humaines sont volontairement dévaluées, inadaptées par rapport à la vitesse des opérations informatiques. Les œuvres de Julien Prévieux sont le résultat d’une logique détournée, sorte de déconstruction de la pensée. Le spectateur est convié à confronter ses connaissances à ce qu’il voit. Dans un esprit ludique, l’artiste interroge le savoir en défaisant les évidences.