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Julie entre autres Paris.

Il n’y a pas une Julie Andrews mais six. Trois femmes et trois hommes dans la peau du même personnage. Et pas n’importe lequel : celui de l’héroïne du film culte de Robert Wise — La Mélodie du bonheur —, jeune fille au pair parachutée dans une famille autrichienne à la veille de la seconde guerre mondiale, qui, malgré des débuts difficiles, parvient à s’attirer les faveurs des enfants dont elle a la charge et l’amour du père. En prime et en guise de happy- end, un exil en Suisse les préserve des fureurs de l’invasion nazie.

« Quand quelque chose me fait de la peine, j’essaie de penser à des choses gaies (…), de vertes prairies, un ciel plein d’étoile, des moustaches de chatons (…) » récitent les six Julies chacunes à leur tour, comme si leurs voix se faisaient écho, avec le même sourire naïf, la même expression accueillante : celle du bonheur ?

Sorties de leur contexte, les mimiques de l’héroïne de Robert Wise s’imposent d’emblée comme ridicules, laissent apparaître la part de grotesque qui les habite. Les quelques passages de chansons traduits en français nous donnent à imaginer le florilège de mièvreries chantées en langue originale. Ceux qui comprennent l’anglais auront accès à cette apologie des choses simples, de la nature, à cette culture populaire et idéaliste du bonheur, résumée en un : « Climb ev’ry mountain (…) till you find your dream » (Escalade chaque montagne (…) jusqu’à atteindre ton rêve).

Les attitudes et les expressions tirées du film sont caractéristiques de l’esthétique kitsch des comédies musicales : claquettes, pantomime outrée, gestuelle descriptive et synthétique, unisson des corps dans les envolées vocales. Le « montage » chorégraphique fait appel aux techniques de la postproduction. Les voix et les mouvements se répètent et se superposent, s’ordonnent puis se décalent, comme s’ils étaient mixés, éléments d’un morceau samplé en direct. Un procédé qui incite la prise de recul, permet la mise à distance du spectaculaire en cassant le rythme narratif des chansons et des déplacements.
Le réel s’immisce dans le spectacle, qui perd de son pouvoir illusoire à grand renfort de play-back démasqué et de phrasé tronqué.

Et puis, à force, le sourire devient rictus, les mouvements stéréotypés du bonheur se figent en des poses cadavériques ou s’emportent dans une cacophonie gestuelle. La Mélodie dévoile sa mécanique standardisée, ses tendances totalisantes. On croirait presque entendre les rythmes déréglés et grinçants du Tempo 76 de Mathilde Monnier, qui dénonce, comme Herman Diephuis (son complice depuis 10 ans déjà) l’aliénation des conformismes et des idéologies de masse. L’une des Julie finit même par s’en prendre physiquement à une autre, la faisant marcher, tourner, mourir à sa guise — petites cruautés qui nous font d’ailleurs beaucoup rire.

Ainsi, sur les pas d’une Monnier, ou d’un Jérôme Bel (avec quelques relans de The Show must go home), Herman Diephuis signe une pièce sociale et politique. Non pas parce qu’il s’attaque à la machine hollywoodienne, ce qui n’a en soi rien de révolutionnaire, mais parce qu’il a le mérite de mettre en avant les dictats hédonistes d’une société homogénéisante. Et pourtant, on reste un peu sur notre faim, peut-être parasité par le souvenir encore très présent de D’après JC ou de Samson et Dalila. 

Grande salle, 20h30
Durée : 1h

— Conception et chorégraphie
: Herman Diephuis
— Interprété et créé en collaboration avec Jerôme Andrieu, Trisha Bauman, Julien Gallée-Ferré, Claire Haenni, Christophe Ives et Dalila Khatir.
— Lumières : Sylvie Mélis
— Son : Olivier Renouf
— Régie générale : Sam Mary
— Régie son : Alexis Meier
— Administration-diffusion : Bureau Cassiopée 

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