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JR (Art urbain)

JR appartient à cette nouvelle génération d’artistes qui pratiquent la rue en l’envahissant. Venant du graffiti, il a, par le biais de la photographie, trouvé sa place dans le plus grand musée du monde à ciel ouvert. Son travail de portraitiste urbain est d’abord photocopié en noir et blanc pour être ensuite affiché ici et là. Troisième portrait des artistes urbains consacré par paris-art.com.

Interview
Par Pierre-Évariste Douaire

paris-art.com ouvre ses colonnes à une longue série d’interviews consacrée aux artistes urbains. La succession des portraits permettra de découvrir les visages et les pratiques de ces artistes qui transforment la ville en galerie à ciel ouvert.

JR est apparu en l’an 2000 sur les murs de nos villes, juste après les impulsions novatrices de Zevs et Space Invader. Il correspond en France à une période où les graffeurs et les tagueurs ont commencé à se remettre en question. Face à la montée en puissance des moyens pour les contrer (nettoyage systématique, surveillance renforcée, sanctions juridiques élevées), une partie d’entre eux a choisi la sédition urbaine totale, d’autres, nourris d’expériences et d’influences transdisciplinaires, se sont adaptés aux nouvelles contraintes de la ville et ont proposé des pratiques différentes et inventives.
JR a raccroché ses bombes de peinture, non pas pour prendre sa retraite, mais pour se consacrer à des “Expo 2 rue”. Photographe de la vie urbaine underground, il a offert aux passants deux séries de portrait sur les graffeurs et les breakeurs parisiens. Il affiche ses ambitions avec de la colle et de l’énergie. Ses tirages argentiques sont de modestes photocopies noir et blanc qu’il affiche avec détermination sur tous les murs qu’il rencontre.

Pierre-Évariste Douaire. Depuis quand et comment interviens-tu dans la rue ?
JR. Depuis sept ans environ. J’ai d’abord commencé gamin avec les tags, je suis rentré dans la mentalité graffiti où tu veux poser ton nom à gauche à droite. C’est en 2000 que j’ai commencé à photographier mes compères graffeurs. J’étais intéressé d’aller dans des endroits où personne n’allait, dans les tunnels et sur les toits. Je m’intéresse aux “communautés de style” qui graffent, dansent, skient. J’essaie de comprendre leur mentalité pour ensuite la retranscrire en photographie. J’expose mes photos dans la rue pour faire partager cette expérience à un maximum de monde.

Pourquoi travailler avec des photocopies ?
Les coûts sont minimes, pour les coller sur les murs je ne suis pas limité. J’ai réussi à garder la qualité photographique dans les photocopies qui conservent un grain. En plus, si on me demande des images, je peux en donner sans problème.

Tu aimerais passer de la photocopie A4 à des panneaux d’affichages ?
J’ai toujours envie d’exposer plus grand. Souvent je colle plusieurs fois la même image pour ainsi m’approprier l’espace urbain. Le prix d’un tirage 4 x 3 m est trop coûteux, c’est pourquoi j’envisage de faire des pochoirs géants de mes photos.

Tu as envahi Paris, tu veux envahir le monde ?
Je fais ça partout, autant dans le centre de Paris que près des portes périphériques, je ne suis pas sectaire. J’expose mes photos où j’ai l’opportunité de le faire. Là où je vais j’expose. Plus j’ai l’opportunité de voyager, plus j’expose. L’année prochaine je pars pour New York et je vais exposer, mais si j’ai l’opportunité de m’introduire dans des “communautés de style” — lesquels, je sais pas encore —, je le ferai volontiers. Dans un premier temps, si je peux leur faire découvrir mon travail, et ensuite présenter le leur ici, pourquoi pas. Le fait de n’avoir à prévoir qu’un bout de feuille et deux trois bouts de scotch, ça me permet de pouvoir exposer à l’autre bout de la terre. Après, mes photos, elles restent ou pas dans la rue, c’est pas grave, ce que je fais c’est de l’art éphémère.

Tu te définis comme un “photograffeur”, à la fois photographe et graffeur, pourquoi utiliser la photo dans ton travail ?
Le graffiti ne s’adresse qu’aux graffiteurs, c’est un langage de tribu à tribu, alors que la photographie s’adresse à tout le monde, elle parle à tout le monde. Exposer des photographies dans la rue c’est peu commun, et peut-être que les gens vont y prêter attention.

Tu exposes ton travail dans la rue, pour ensuite le montrer en galerie ?
Non. D’abord la rue parce que c’est le plus ouvert, ensuite les galeries, pour un projet spécifique qui me tient à cœur, et qui ne serait pas réalisable dans la rue.

Tu te sers de la rue comme d’une vitrine ? C’est un tremplin ? Tu te fais ta propre pub ?
Non pas du tout. Je reste anonyme, je ne signe pas, je ne laisse pas de contact. Je ne vends rien, je veux juste montrer mon travail. Ensuite, les retours viennent ou pas, mais c’est pas important. Il y a des gens qui stickent avec des envies de retours, mais je te dirais que ce n’est pas vraiment dans mon intérêt parce que la galerie ne pourra pas m’offrir ce que la rue m’offre.

Ta rencontre avec la photographie s’est faite par hasard, tu as trouvé un appareil dans la rue, puis un flash. J’aime cette idée de rencontre, c’est très surréaliste. Dans L’Amour fou Breton et Giacometti trouvent au marché aux puces des objets qui reflètent leur inconscient. J’ai l’impression que le hasard est présent dans ta démarche, comme les personnages de Dumas qui, dans Les Mohicans de Paris, suivent un chemin en suivant une plume.
Cet appareil photo a été égaré par des touristes allemands sur le quai du métro. Le flash incorporé était tellement puissant qu’il me permettait d’éclairer tout un tunnel, et comme les graffiteurs travaillent la nuit, il m’a été d’un grand secours, c’est un hasard heureux. Le hasard, c’est également l’emplacement où je colle mes affiches. On me reparle souvent d’une photo qui a été collée au fin fond de Paris, dans une petite ruelle. Le hasard c’est autant l’endroit où je pose mes photos que la rencontre qu’elles provoquent avec les flâneurs au coin d’une rue. Tout est une suite de hasards, je n’ai pas de programme. Ma rencontre avec les breakeurs c’est aussi le hasard d’une rencontre.

Plutôt que “photograffeur”, je te définirais plus facilement comme photo-reporter. Tu as d’abord photographié des graffeurs, puis des breakeurs et maintenant des free-riders (skieurs hors-pistes). Tu es un journaliste ?
Peut-être un “journaliste 2 rue”… Quand on me disait que j’étais photographe, je disais : « Non, je m’intéresse à la photographie ». Là, journaliste, je ne sais pas comment le prendre.

Tu photographies tes contemporains, tu les écoutes, ton sujet de prédilection ce sont les autres. Comme un journaliste d’investigation, tu nous fais partager la vie de ces tribus urbaines fermées, de ces “communautés de style” comme tu les appelles.
C’est vrai, je ne m’étais jamais comparé à un journaliste. Le mode de travail est le même, il n’y a que pour la diffusion des photos que je diffère : moi, je place mon travail directement dans la rue.

Inscris-tu ton travail dans une mythologie, dans le dogme du Hip Hop ?
Il y a pas mal de débats pour savoir qui reste vrai, qui reste authentique. Moi, je resterai vrai tant que je ne vendrai pas de produits à travers mes affiches, sinon là je commencerai à rentrer dans le système publicitaire.

Pour toi la trahison c’est la commercialisation ?
Oui, si un jour mes photos servent à la commercialisation d’un produit j’aurai l’impression de me trahir. Si je prône les valeurs du Hip Hop, c’est-à-dire la voix du peuple, c’est pour m’exprimer librement sur les murs comme le font les rapeurs dans leurs chansons. Le rap et les murs sont pour moi la voix du peuple. Je passe mon message sur les murs.

Mais pourtant cet hiver on pouvait lire sur tes affiches la marque de ski Rossignol, c’est pas contradictoire ?
Non, Rossignol m’a permis d’aller passer plusieurs jours en Suisse avec son Team de free-riders. Par respect pour les membres du groupe j’ai indiqué le nom de chaque personne et le Team auquel il appartient, un peu comme dans le cyclisme, où chaque coureur est associé au nom de son équipe. Après, les riders, ils vivent du sponsoring, donc pour pouvoir les rencontrer t’es obligé de te prêter au jeu. Par contre, j’ai posé mes limites en disant que je ne mettrai pas de logo sur mes photos. On m’avait demandé de mettre la marque visiblement dès qu’il y avait un rider, et là j’ai dit : « Non, pas question ». Eux, de toute façon, ils n’attendent pas de retombées de mes collages.

Tu es au carrefour de plusieurs expériences (graffiti, photographie, exposition artistique). Est-ce que ton éclectisme est un amateurisme ?
L’évolution dans mon travail, je l’envisage, mais j’ai pas l’intention de devenir photographe de métier. Le jour où je n’arriverai plus à m’exprimer avec mes moyens, alors là, oui, je me remettrai en question. C’est comme le hasard, je ne sais pas où je vais et je trouve ça bien, je ne me pose pas de questions.

Tu travailles beaucoup pour te faire connaître du grand public mais aussi de tes pairs, les artistes de rue ?
Entre artistes 2 rue, sans parler de compétition, on a toujours envie de faire plus grand que l’autre, d’aller plus haut, de prendre la meilleure place pour être le plus vu. Moi, par rapport à eux, je suis assez décalé, mais même si je suis le seul à mettre des photos dans la rue, on est dans la même logique du graffiti. On est dans la même logique publicitaire aussi, il ne faut pas se leurrer, ce que l’on fait dans la rue, c’est se placer dans le meilleur endroit pour être le plus visible.

C’est une stratégie publicitaire.
Oui, nous sommes dans une logique publicitaire, mais malgré nous. Par contre, vas dire cela à un graffiteur et il te mettra son poing dans la gueule… N’empêche, c’est ce qu’il fait.

Tu utilises une foule de techniques comme le pochoir, le sténopé, la photo, la bombe, la photocopie, l’affichage, as-tu trouvé ton propre style ?
Le papier, il sera toujours noir et blanc, pour bien retranscrire la photo, et toujours avec une qualité médiocre. Le jour où tu me verras avec du papier brillant, c’est que quelque part je me serai trahi. J’aime beaucoup trouver des cadres à mes expos 2 rue qui vont attirer le regard du passant, du scotch jaune, de la peinture rouge comme du sang, j’aime beaucoup ça. C’est une signalisation détournée qui veut dire « Attention! regardez mes photos ». Actuellement, je travaille sur de nouveaux modes d’encadrement. Je vais carrément créer un fond composé d’affiches du début du siècle où je vais coller mes photos. Le message c’est toujours de dire : « Regardez! je m’adresse à vous ».

Qui es-tu un artiste ? un artiste de rue ?
J’ai mes valeurs, comme celle d’exposer mes affiches sans but lucratif, de façon illégale. J’ai pas l’arrogance de dire que je suis un artiste ou un photographe. Pour rester crédible, il faut que je reste fidèle à mes débuts, il faut que l’on puisse reconnaître mon travail au fil des ans, même si je change de sujets.

Que cachent les lettres JR ?
C’est mes initiales tout simplement, c’est même pas mon tag, je tenais à rester simple.

Liens
Le site de JR : www.jr-art.net

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