ART | CRITIQUE

Journal d’une chambre

PJulie Aminthe
@04 Juil 2012

La galerie Crèvecœur se transforme en un espace domestique où les œuvres d’Erica Baum, d’Astrid Klein et de Julien Carreyn questionnent l’univers féminin et ses stéréotypes. Que dit l’intérieur d’une chambre de l’intériorité d’une femme? A travers mots et images – échos au Nouveau Roman et à la Nouvelle Vague, mystère et ambiguïté prédominent.

A l’occasion de l’exposition «Journal d’une chambre», la galerie Crèvecœur se dote d’une cloison supplémentaire. Trois petites salles d’exposition sont ainsi décorées par des lampes, un rideau orange, de la moquette, un vase, une console blanche, créant une ambiance feutrée et intime très années 60-70.
Sur les murs sont accrochées les créations d’Erica Baum, Astrid Klein et Julien Carreyn, chacune explorant singulièrement la question du féminin et de ses représentations.

Les dessins et les photographies de Julien Carreyn donnent à voir des images de femmes souvent nues, divulguant leur corps dans des positions «surjouées», comme pour mieux mettre à distance leur intériorité profonde.
Seule leur tenue de scène – la chair découverte – est accessible au regard. Le visage de ces femmes reste impassible. Leurs pensées et leurs secrets sont à jamais hors d’atteinte.
Les images créées par Julien Carreyn, comme sorties d’un vieux journal de presse (sorties laser en basse résolution, dessins au graphite, sérigraphies aux pantones très clairs), se contentent donc de mettre en lumière des femmes-actrices en pleine représentation. Conscientes de leur potentiel érotique, elles n’offrent jamais autre chose que leur enveloppe extérieure, laquelle – peu bavarde – ne dit rien sur ce qui les anime intimement.

En utilisant la technique de la fragmentation, les photographies d’Erica Baum jouent pour leur part avec les textes et les images afin d’offrir une multitude de possibilités de lecture, loin du sens unique que l’on attribue habituellement aux êtres ou aux objets que l’on perçoit.
Ses photographies de femmes sont le résultat d’un assemblage de plusieurs images – alternant gros plans et plans serrés, qui forme une sorte d’éventail féminin, équivoque et subtil.

Erica Baum corne également des pages de livres et propose des photographies de petits carrés de texte sectionnés par la diagonale du pli. De nouveaux récits visuels sont alors mis en lumière.
Le regardeur peut parcourir les textes horizontalement et verticalement, et découvrir des combinaisons de mots inattendues et décalées.
La femme est-elle «enfantine», «infâme», « poupée»? Face à un tel pluralisme, chacun est amené à choisir sa propre version de l’histoire…

Enfin, les romans-photos d’Astrid Klein, datant pour la plupart des années 1970, analysent la question de la représentation et de la perception des femmes à une époque où la culture médiatique connaissait un essor considérable dans les sociétés occidentales.

Découpant des silhouettes de mannequins parues dans les revues de mode, tout en utilisant des clichés empruntés au cinéma – d’où la présence de la plantureuse Brigitte Bardot mise en scène par Jean-Luc Godard, Astrid Klein fait apparaître le voyeurisme et la fétichisation du corps féminin au sein de la culture dominante.
Les textes, accolés aux images, sont écrits soit par l’artiste, soit extraits d’ouvrages scientifiques ou philosophiques – notamment de Zettel’s Traum écrit par Arno Schmidt, qui interroge la représentation des femmes dans le cinéma et le roman-photo des années 60-70.
Les morceaux textuels sélectionnés sont alors raturés, hachés, rendus parfois illisibles, afin semble-t-il de mettre en avant les phrases qui paraissent les plus pertinentes, dont la fameuse: «Müde vom Jungsein» (Fatiguée d’être jeune).

Quand les stéréotypes féminins ne disent rien de celles qui en sont les victimes, mais tout de ceux qui les véhiculent…

Å’uvres
— Julien Carreyn, Ryelle, 2010. Laserprint sur papier irisé.
— Julien Carreyn, Mikado, 2011. Graphite sur papier.
— Julien Carreyn, Melchior, 2011. Graphite sur papier.
— Julien Carreyn, Vallauris, 2010. Tirage pigmentaire.
— Julien Carreyn, sans titre, 2010. Laserprint sur papier irisé.
— Julien Carreyn, sans titre (nu), 2009. Laserprint.
— Julien Carreyn, Eva, jogging, 2011-2012. Laserprint.
— Julien Carreyn, Solitude, 2010. Pastel sur papier.
— Julien Carreyn, Accolay Zouzou, 2010. Laserprint.
— Julien Carreyn, sans titre, 2012. Laserprint.
— Julien Carreyn, sans titre (nu), 2010. Laserprint.
— Erica Baum, untitled (Woman), 2010. Série Naked Eye. Impression pigmentaire.
— Erica Baum, C, 2011. Série Naked Eye Volume Two. Impression pigmentaire.
— Erica Baum, Shampoo, 2008. Série Naked Eye. Impression pigmentaire.
— Erica Baum, Irma, 2012. Série Naked Eye Volume Two. Impression pigmentaire.
— Erica Baum, Enfantine, 2011. Série Écorner. Tirage pigmentaire.
— Erica Baum, Dolores, 2012. Série Naked Eye Volume Two. Tirage pigmentaire sur papier archival.
— Erica Baum, Convertible, 2012. Série Naked Eye Volume Two. Tirage pigmentaire.
— Erica Baum, Imagination, 2011. Série Écorner. Tirage pigmentaire.
— Erica Baum, Lui-Même, 2011. Série Écorner. Tirage pigmentaire.
— Erica Baum, Mad, 2009. Série Dog Ear. Tirage pigmentaire.
— Erica Baum, Examined, 2009. Série Dog Ear. Tirage pigmentaire.
— Erica Baum, Chambre, 2011. Série Écorner. Tirage pigmentaire.
— Astrid Klein, untitled (Müde vom Jungsein …), 1979. Techniques mixtes sur toile.
— Astrid Klein, Il y avait 1 fois, 1980. Collage.
— Astrid Klein, Ihr empfindet euch nicht…, 1980. Collage.

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