Communiqué de presse
Dana Cojbuc, Mirela Popa, Laura Todoran
Jouer avec le temps et les signes
Enfants ou jeune fille sous l’ancien régime communiste, Dana Cojbuc, Laura Todoran et Mirela Popa sont des artistes d’après «la Révolution» de 1989 en Roumanie qui a renversé le dictateur Ceaucescu.
L’ouverture des frontières à l’Est a accéléré les migrations de populations, parmi elles, des artistes ont fait le parcours. Ces artistes ont en commun l’expérience de l’exil, forme d’arrachement-attachement à plusieurs territoires, apprentissage du sentiment d’appartenances multiples. Apprentissage et pratique de plusieurs langues, décodage de nouveaux comportements intimes et collectifs, d’autres signes culturels. Allers et retours entre le même et le dissemblable.
«Je me suis aperçue que ce qui m’appartenait en propre, ce qui me définissait, ce n’était plus un lieu, une histoire, mais une oscillation, une hésitation permanente, entre deux lieux, deux histoires» dit Mirela Popa dans un catalogue monographique édité en 2004. «Le rôle de l’art, cette donne étant ce qu’elle est ? Faire tenir l’ensemble, lui donner sa cohérence, stabiliser là où l’expérience du réel acquiert pouvoir à déstabiliser nos vies. Où l’art réenracine, fixe le corps témoin du monde que nous sommes chacun, que promène et ballote le réel, sans répit», poursuit Paul Ardenne au sujet de l’artiste.
Les oeuvres de Mirela Popa exposées à Moissy-Cramayel ont été réalisées entre 1999 et 2004, et témoignent encore du poids de son passé. L’alphabet formé par les postures parfaites des jeunes gymnastes de Sibiu, sa ville d’origine, exprime un langage où la pureté de la forme collective nie la vérité de l’individu, sa souffrance ; nous renvoie aux images cinématographiques de Léni Riefenstahl qui filmait les «dieux du stade» sous le régime nazi. Icônique, la photographie très grand format, rouge et or, d’un carnet d’une membre du Parti Communiste, symbole du «civisme» et carnet de notes des membres. Ironique et tragique à la fois le triptyque de la Maison du peuple, sorte de travelling intérieur-extérieur, place le spectateur devant l’Histoire d’un mensonge.
Laura Todoran, originaire d’une communauté roumaine de Serbie, et diplômée de l’Université des arts de Bucarest, propose également un alphabet qui investit le corps. Elle s’intéresse aux alphabets des personnes sourdes et muettes. A la recherche d’une langue universelle, à jamais perdue depuis l’épisode mythique de la «confusion des langues», dite de la Tour de Babel, qui a définitivement séparé les peuples et les cultures. Interrogeant encore les langues et leurs qualités propres, elle a enregistré des personnes non francophones lisant un poème en français, enregistrement qui révèle la musicalité et la sensualité de la langue, et les projections des locuteurs.
Avec Dona Cojbuc, enfin, les corps sont mis en jeu encore autrement. Chez elle, le corps porte la marque du temps et des histoires intimes que la photographie, seule, peut conserver. Retournant dans son village du Sud de la Roumanie, l’artiste remet en scène la traditionnelle photographie de famille prise le jour de la fête de la Vierge Marie plusieurs dizaines d’années plus tard. Par l’entremise de la photographe, l’image figée au mur reprend vie pour un instant. Les personnages/personnes ravivent leurs souvenirs, racontent. L’acte photographique acquiert ici une dimension sociale, de tisseur de mémoire.
Sans nostalgie, les trois photographes nous offrent trois voies/voix singulières qui traversent et dépassent les frontières et appartenances et s’ancrent résolument dans l’art et l’Europe contemporains.