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Jonathan Horowitz

PNathalie Delbard
@12 Jan 2008

Extraits de films, pièces sonores, affiches et autres documents reconstituent l’univers cinématographique. Entre incommunicabilité, culture de masse, prolifération des images et des informations, Horowitz offre une perception du cinéma à la fois sensible (comme média) et critique (comme industrie).

Réparti sur trois salles disposées en enfilade, le travail de Jonathan Horowitz présenté à la galerie Yvon Lambert s’appréhende plutôt en deux temps, qui incarnent aussi deux rapports distincts à l’univers cinématographique : la première salle, vaste et sombre, nous invite à nous asseoir et à nous imprégner de sons joués par un piano fantôme et de séquences filmiques alternées, tandis que les deux espaces suivants fonctionnent davantage comme une « après projection », nous offrant une dimension plus critique que sensible de l’industrie du cinéma, à travers un accrochage d’images populaires réinvesties par l’artiste, et de quelques urnes à vocation humanitaire jalonnant le parcours.

Le dispositif à la fois sobre et théâtrale de Silent Movie, pièce inaugurale, permet à Jonathan Horowitz de nous replonger dans l’atmosphère spécifique de la salle de projection, à ceci près que le cinéma en question paraît ressurgir d’une autre époque, à savoir celle des films muets où le piano accompagnait le plus souvent les images. Silent Movie, en ce sens, distille quelque chose de nostalgique et de poignant.
Tandis que comme par magie les touches du piano, désormais sans musicien pour les actionner, s’enfoncent seules pour poursuivre la mélodie, des scènes énigmatiques, privées de leur bande-son et mêlant divers extraits de films, défilent sur le mur. Johnny Belinda de Jean Negulesco (1948), The Story of Esther Costello de David Miller (1957), The Miracle Worker de Arthur Penn (1962) et Tommy du groupe The Who (1975), constituent les matières premières de la projection, le dénominateur commun à tous ces films résidant dans la singularité d’un héros sourd et muet victime de son incapacité à accéder au langage.
Du visage délicat de Joan Crawford murée dans sa détresse aux trépignements convulsifs d’une enfant (Patty Duke), de l’impuissance de cette jeune femme (Jane Ulyman) terrorisée par son agresseur, en passant par les délires érotiques de The Who, le spectateur se trouve ainsi projeté au cœur d’une incommunicabilité déchirante, qui ne cesse de dire sa violence inouïe à travers des corps et des regards prisonniers de leur propre mutisme.
Éludant la dimension narrative des personnages tout en entremêlant avec justesse les séquences, Horowitz produit ici une œuvre doublement aphone mais « criante » d’émotion, qui trouve son point d’orgue dans sa dernière image, avec cette petite fille perdue au milieu des ruines hurlant un « Mummy » inaudible et désespéré.

Dès lors, c’est bien d’une toute autre intention que se révèle être la seconde partie de l’exposition, nous extirpant soudainement de l’atmosphère nocturne de Silent Movie pour mieux nous ramener à des considérations plus terre à terre. À travers une réappropriation de documents cinématographiques et journalistiques (affiches de films, images télévisées, photographies et paroles de stars) l’artiste semble vouloir brandir le revers de la médaille, soulignant les paradoxes d’un monde censé servir l’artistique mais répondant le plus souvent à des stratégies d’abord financières ou idéologiques.
Réparties sur les murs des deux salles, les reproductions textuelles ou visuelles, souvent de mauvaise qualité (floues ou pixellisées), permettent en effet à Horowitz de confronter les personnalités les plus célèbres à leurs discours et prises de position politiques ; de Jerry Lewis à Jane Fonda, l’artiste épingle les stars américaines, inscrivant par exemple sous l’affiche du film Les Dix Commandements les paroles de Charlton Heston faisant l’éloge du port d’arme, ou alignant les photographies musclées de Arnold Schwarzenegger à côté de quelques-uns de ses propos les plus misogynes ou tendancieux.
Juxtaposant les informations, comme lorsqu’il déplace la question humanitaire au sein de la galerie par la mise en place d’urnes transparentes récoltant des fonds pour Greenpeace ou Médecins sans frontière, Jonathan Horowitz tente au fond de réexaminer la culture de masse et la prolifération de ses images, et de ce qui trop souvent se donne comme modèle ou vérité absolue en occultant les véritables enjeux. Un film silencieux, aussi, mais d’une autre nature…

Jonathan Horowitz
— Silent Movie, 2003. Installation vidéo avec son : vidéo projection et piano électronique, 10 ’.

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