Au-delà de leurs différences, John Tremblay et Anita Dube se retrouvent dans les croisements symboliques qu’opèrent leurs travaux les plus récents. Il ne s’agit pas pour eux d’échapper à la confusion d’avec le modèle, mais d’approcher la confusion et d’éprouver le sens de la citation, user ses ressorts pour mettre leur modernité en abîme, au regard de la gémellité ou de la réutilisation des signes.
La peinture de John Tremblay réintroduit sciemment le langage plastique des années 60: les ronds, les ovales, les carrés colonisent des tableaux aux couleurs franches et glacées virant du fluos aux argentées. Ces petites formes géométriques organisent la surface, ou plutôt se l’approprie jusqu’à parfois la recouvrir, voire même l’étouffer complètement. Entremêlées, entrecollées ou dispersées comme des satellites autour d’une force d’attraction, les formes impriment immanquablement un mouvement, introduisent l’idée du déplacement, à l’intérieur de l’œuvre et dans l’esprit du spectateur.
John Tremblay rejoue ici le lien entre l’action et la contemplation, le regardeur-acteur et le regardeur-spectateur, entre l’op et le pop. Mais ses connexions se situent aussi ailleurs, dans un environnement beaucoup plus contemporain (même si celui-ci est également rompu aux principes de la rappropriation) rattaché au graphisme, à la musique électro et au cinéma populaire.
Anita Dube agite à sa manière les principes de la réappropriation (l’assimilation, la citation, le rapprochement de formes passées et actuelles). Elle y adjoint un vernis plus anthropologique, du moins plus en phase avec la réalité sociétale. C’est en tout cas ce qui traverse les deux installations de l’artiste à l’étage de la galerie.
Marsia reprend les Jaali, ces motifs architecturaux ornementant nombres d’édifices islamiques en Inde. Anita Dube en fait une matrice qu’elle dépose contre l’un des murs de la salle, légèrement inclinée et retenue de la chute par des cordes de soutien. Ici pas de pierre, plutôt du polystyrène repeint pour imiter la facture monumentale, surtout pour alerter sur la fragilité des symboles qui s’effondrent.
Marsia sonne comme une métaphore des poésies élégiaques chantées par le Muharram au premier mois du calendrier islamique; elle sonne également comme la promesse d’un renouveau, comme l’héritage d’une pensée universaliste aujourd’hui marginalisée par les mécanismes de la mondialisation et le manichéisme des tenants du choc des civilisations. Et il n’y a peut-être que l’art (ou ici l’artiste qu’il faut associer à la corde de soutien) pour réveiller ces symboles.
Dans l’autre salle, Anita Dube parle d’une société caractérisée par son substrat de violence latente. Elle y montre des objets familiers, armoire, four, mallette, frigidaire, table à repasser, cantine ou même copie d’un tableau de Bruegel, qu’elle conditionne dans un tissu aux motifs de camouflage militaire. Parmi les objets, Anita Dube glisse également des armes comme pour réitérer le message, alerter sur la peur, les doutes et les dangers qui délimitent et déforment la pensée.
Cette volonté rageuse de dire et d’énoncer le mal par le symbole n’empêche pas le scepticisme, et cette citation de Nietszche qu’elle met en exergue sur les murs: le scepticisme «accorde à l’esprit une périlleuse liberté mais surveille rigoureusement le cœur».
John Tremblay
— Do You Want New Wave Or Do You Want The Truth?, 2007. Enamel silkscreen. Acrylic on canvas. 59 cm x 58,4 cm.
— Lives of the Planets, 2007. Acrylic and paint marker on canvas. 191 x 165 cm.
— Agriculture, 2007. Acrylic on canvas. 160 x 234 cm.
— Building a Better Mushroom, 2007. Acrylic and paint marker on canvas. 160 x 193 cm.
Anita Dube
— Marsia, 2005. Mixed media. 230 x 300 x 140 cm.
— Fridge, 2006-2007. Série «Phantoms of Liberty». Mixed media. 170 x 150 x 140 cm.
— Safe, 2006-2007. Série «Phantoms of Liberty». Mixed media. 60 x 61 x 123 cm.
— Oven, 2006-2007. Série «Phantoms of Liberty». Mixed media. 28 x 50 x 40 cm.