Si le paradis est toujours ce qui est en amont, la première série de photos recomposées conçue par John Goto est vraisemblablement dédiée à cet imaginaire. Tous les éléments de l’Eden sont ici rassemblés.
En pleine campagne ou au bord de la mer, non loin de monuments antiques, déambule l’ensemble des animaux possibles et imaginables, du mouton à la biche, en passant par le rhinocéros. Plus loin, des enfants et des adultes jouent et se prélassent au bord de l’eau, quand d’autres sont réunis peut-être pour un brunch. Ils emmènent paître les brebis, ou dorment profondément à l’ombre d’un arbre.
Au premier regard, ces œuvres pourraient être confondues avec l’un des nombreux tableaux ruinistes de Claude Lorrain, ou encore de Poussin, dont l’objet est précisément la représentation d’un temps dit «meilleur». Mais, l’intrusion d’éléments de perturbation au sein de ces décors en obscurcit le caractère idyllique.
En apparence idéaux, ces paysages sont en réalité minés par la mort. L’infection du paradis opère à partir de détails: un tronc d’arbre lugubre, un vautour qui plane, une centrale nucléaire voilée par sa propre fumée, ou encore, un homme en combinaison anti_bactériologique. Le danger guette les hommes, contraints à fuir un ciel orageux, aussi bien que les animaux, menacés d’exécution sur les rives d’un torrent boueux.
Plus qu’exposés, trois protagonistes de ces saynètes sont littéralement en péril. L’un d’entre eux est passé à tabac alors que les deux autres, plus jeunes, viennent d’être abandonnés par leurs parents dont il ne reste plus que les images. Ailleurs, la mort a définitivement frappé: une carcasse de voiture flotte à la surface d’une eau sombre, une tête de mort est posée au sol.
En d’autres termes, ce qui est communément défini comme sans tache est ici dérangé, quand il n’est pas envahi par la mort.
Prétendu hors du temps, l’Eden est désormais soumis aux lois du devenir. Ainsi, John Goto met en crise la représentation du paradis, définitivement reléguée au domaine des leurres.
Une deuxième catégorie de photos, au ton plus optimiste, fait face à cette première série. A l’arrière de rideaux de théâtre et sur fond de monuments anciens, appartenant tous à l’histoire de l’Angleterre, des indiens ou des rappeurs esquissent des pas de danse. En tenue traditionnelle, de hip_hop, mais aussi d’époque, les acteurs forment avec leur décor un tout aux couleurs éclatantes.
Des indiens en costumes flashy — tout juste sortis de Bollywood — bougent frénétiquement sur la façade d’une usine en cours de réaménagement. A côté, des rappeurs juchés sur des piédestaux prennent la pose devant un bâtiment historique, narguent des reproductions de peinture médiévale à l’avant d’une cathédrale gothique.
Les cultures et les époques se confrontent ici d’une manière joyeuse et dynamique. Et, bien qu’il soit possible de repérer des éléments apparemment mortifères, tels qu’un chat noir, des croix, mais aussi des squelettes, nulle véritable contradiction. Car, si la rencontre des ethnies et des époques célèbre la perpétuelle métamorphose du monde, la mort a ici toute sa place.
Au rêve d’un paradis hors du temps, où la mort est une injure, John Goto préfère et substitue l’image du Devenir, dans lequel la mort et la vie dialoguent sans fin.
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John Goto:
— High Summer : Eco warriors, 2000. Tirage jet d’encre sur papier coton. 38,5 x 53,5 cm.
— High Summer : Harvest, 2000. Tirage jet d’encre sur papier coton. 38,5 x 53,5 cm.