John Armleder : Jacques Garcia
Le Centre culturel suisse est heureux de présenter dans son espace principal, un audacieux projet de John Armleder spécifiquement conçu pour le lieu.
Il donne forme à un souhait d’exposition qu’il n’avait jamais encore pu concrétiser. Celui-ci articule les notions de décor, d’appropriation et fait appel à l’ornement en tant que dispositif conceptuel. John Armleder délégue totalement la réalisation de ce projet au décorateur français de renommée internationale Jacques Garcia dont le registre créatif s’étend du minimalisme zen à la surcharge néo-gothique, de l’exotisme du retour d’Egypte à la folie Napoléon III.
Il conçoit pour l’artiste un véritable appartement néo-bourgeois dans ses moindres détails, de l’entrée à la salle à manger en passant par la chambre et le salon. Dans cet espace, par essence privé, mais rendu ici public, des laques chinoises et autres savonneries côtoient des oeuvres de John Armleder, Georges Condo et Helmut Newton.
Attaché à l’idée “qu’une pièce est terminée conceptuellement avant qu’elle ne soit produite”, l’oeuvre de John Armleder est bel et bien ici la réalisation de cette installation de Jacques Garcia selon le principe de la délégation, cher à l’artiste.
Une soirée dédiée aux films « Ecart » ainsi que les projections proposées par John Armleder du « Traité de bave et d’éternité » (1951) d’Isidore Isou; « The Ladies Man » de Jerry Lewis (1961) et « Nude to the Moon » de Raymond Phelan et Doris Wishman (1961), complèteront l’évènement.
John Armleder a mis en scène une grande « rétrospective » de son travail depuis 1968 au Mamco de Genève l’année dernière qui décrivait sa pratique comme suit :
Le travail de John Armleder n’est pas identifiable à un médium, une procédure, un style formel, un univers plastique ou esthétique. Il se déploie sous de multiples apparences, se répète ou se métamorphose, sans jamais se développer autrement qu’au gré des circonstances. Si le hasard lui est d’un constant secours, c’est peut-être que toute son entreprise vise à minimiser son effort, la part qu’il prend à la mise en œuvre. La figure d’artiste qu’incarne Armleder serait celle d’un hyper-actif désœuvré, d’un producteur distrait, d’un minutieux désinvolte, d’un ingénieur des approximations, d’un génie de l’indécis.
Qu’elles soient spectaculaires ou à peine esquissées, monumentales ou minuscules, chatoyantes ou fades, laborieuses ou déjà faites, de sa main ou d’un autre, l’enjeu de ses œuvres semble toujours être de tenir à distance toute expressivité personnelle, toute empreinte héroïque. Séduisant ou déceptif, son art ne trouve sa réussite que dans la mise en crise de la notion de réussite, dans la construction aléatoire d’un système d’équivalence entre tous les items.
Si le destin des œuvres d’art est de venir se fondre dans les décors domestiques, urbains ou muséaux, celui des décors ne serait-il pas de se confondre aux œuvres ? C’est ainsi que les peintures font tapisserie, que les meubles se combinent aux tableaux pour se faire structures et supports picturaux, que les drapés muraux deviennent des toiles flottantes à l’échelle des salles, que les tableaux se drapent à leur instar, que les tables se retrouvent sculptures, que les sculptures se découvrent ready-made, que le kitsch se révèle sophistication, que l’accident est pris pour l’intention, que l’à-peu-près apparaît virtuose, le négligé calcul, l’impeccable leurre.
Rien ici n’est à prendre pour autre chose qu’un change donné dans le champ indéfini des propositions au titre de l’art. Cela relève, chez Armleder, de la mécanique de précision ou, si l’on préfère, d’une nouvelle acception de la notion duchampienne de beauté d’indifférence. À ceci près qu’il y entre un fort coefficient de jeu où l’humour dédramatise les ruses de l’ironie, où le plaisir de l’improviste s’émancipe de la tyrannie du « dur désir de durer ».