Invité par le commissaire et collaborateur de la revue Particules, Thybaut De Ruyter, l’artiste hollandais Joep Van Liefland occupe tout l’espace de cet atelier, annexe de la galerie Jean Brolly, en y présentant l’inverse complet de la galerie principale. La culture pop de très bas étage, ses maladresses et son absence totale de construction spirituelle ou conceptuelle s’invite ici comme un refoulé du minimalisme et du monochrome.
L’artiste y présente sa collection de films VHS, cassettes et jaquettes comprises, de séries Z, de films de démonstration de bricolage aux plus improbables films porno. Il recrée dans un geste proche de Hirschhorn (mais à visée plus réaliste que ce dernier) un décor avec quelques néons, des photocopies cheap, des posters et des jaquettes sur des étagères en bois. Des téléviseurs permettent de consulter et de visionner les films présentés.
L’artiste est donc installeur, performeur et vidéaste. L’activité de collectionneur est aussi intéressante, comme un Henri Langlois sauvant des bobines de films muets en les stockant dans sa baignoire avant de fonder la Cinémathèque française (selon la légende).
Signe des temps et du médium utilisé, Joep Van Liefland fonde un vidéo club itinérant, ironiquement baptisé «Vidéo Palace», dont on voit ici la 23e édition.
Pas loin du Cosmos de Boris Achour ou des étagères Ikea inondées de vidéo cassettes du journal vidéo de Ugo Rondinone (Days Between Stations), il installe la vidéo cassette comme un paysage culturel muséifié sans en faire de remontage, de mise en scène (comme Paul Mac Carthy) ou sans proposer une navigation particulière dedans.
Son intervention existe autant pour son contenu: Joep Van Liefland met en contexte ses propres productions photos et vidéos avec un bain culturel trash, et rend ainsi disponibles ses vidéos hardcore d’éjaculations et de performances sexuelles masquées. Il affilie la performance ou l’actionnisme à la sous-culture des solderies de banlieue et leur offre un musée où elles terminent ainsi leur existence culturelle.
Mais cette intervention existe aussi pour sa situation urbaine et contextuelle. Il ramène un morceau des ruelles qui entourent habituellement les gares des grands métropoles, parsemées de sex shop, de kebab et autres boutiques mal identifiées: un bout de gare du Nord greffée dans le Marais bobo parisien.
Une stratégie qui paradoxalement le protège de toute ambiguïté ou d’une réelle confrontation au réel et peut apparaître aussi comme un repli sur soi. Sa radicalité et sa subversion sont malgré tout nominalistes et taxinomiques. Il suffit de lire les articles sur son travail qui prennent plaisir à énumérer les titres repoussants et fascinants des films qu’il présente. Il exhibe des noms et des signes culturels mais ne crée aucun écart entre leurs origines et leur devenir.
Son engagement physique incontestable dans ses propres films se protège derrière les précédents qu’il collectionne et au fond disparaît dedans, tenant ses images-limites entre un certain camouflage (derrière la façade de l’art) et un certain exhibitionnisme (du trash dans le monde de l’art). Ses propres films peuvent-ils exister et être visibles sans l’installation de ce faux magasin qui les dissimule autant qu’il les autorise? La question reste ouverte.
Joep van Liefland
— Hollywood Was Yesterday, Vidéo Palace #23, 2007. Installation. Matériaux divers. Dimensions variables.