Avec I am sitting in a room (2016), la chorégraphe belge Joanne Leighton (Cie WLDN) livre une pièce où sons et mouvements s’imbriquent et s’altèrent. Pièce chorégraphique pour quatre interprètes — Marion Carriau, Marie Fonte, Arthur Perole, Alexandre Da Silva —, les danseurs y évoluent sur l’œuvre sonore d’Alvin Lucier. Compositeur américain, en 1969 Alvin Lucier s’enregistre en train de lire un court texte, dans son appartement. « Je suis assis dans une pièce différente de celle où vous vous trouvez maintenant. Je suis en train d’enregistrer ma voix et je vais la jouer dans la pièce encore et encore, jusqu’à ce que les fréquences dues à la résonance de la pièce se renforcent elles-mêmes. » Ainsi débute le texte, lu en anglais par Alvin Lucier, qui bégaie légèrement. À partir de cette trame sonore, Joanne Leighton explore un geste tout aussi simple : s’asseoir.
I am sitting in a room de Joanne Leighton : creuser la pièce sonore d’Alvin Lucier
La pièce sonore I Am Sitting in a Room (1969), d’Alvin Lucier, s’articule en trente-deux séquences de lecture-enregistrement. L’acoustique du lieu et les propriétés des outils d’enregistrement transforment, au fil des captations, la voix et le texte en une longue modulation continue. Gommant ainsi tous les segments verbaux, pour mettre à nu l’artefact, l’effet larsen, sous la forme d’une note ondulante. Et suivant ce processus de répétition et différenciation, méthodique, Joanne Leighton déconstruit les manières de prendre appui pour s’asseoir. Combinaisons, variations, modulations… Les quatre danseurs réinventent à chaque mouvement l’assise. En allemand, il y a deux verbes différents pour, d’une part s’asseoir [setzen] et d’autre part être assis [sitzen]. Là où le français et l’anglais utilisent le même verbe, différemment conjugué. S’asseoir ou siéger. Deux actions, deux types de mouvements. Avec Joanne Leighton, ce ne sont plus deux, mais des dizaines de possibilités qui émergent sur scène.
Processus méthodique : quand la danse explose et explore le geste de s’asseoir
Chorégraphe attachée à scruter l’apparente simplicité du banal (se tenir debout, marcher, s’asseoir…), Joanne Leighton décrypte le mouvement. Pour Les Veilleurs (2011), elle avait impliqué sept-cent-trente Belfortains dans une performance explorant la station debout. Dans 9000 pas (2015), sur une musique de Steve Reich, c’est la marche qui avait capturé son attention la plus pointue. Avec I am sitting in a room, il n’y a pas assez de verbes pour décrire ce qui se joue. Et c’est précisément là que la danse de Joanne Leighton prend le relais d’un langage appauvrissant. Avec cette double-dynamique : d’un côté l’œuvre musicale qui gomme les nuances de la voix d’Alvin Lucier. Et une œuvre chorégraphique qui gomme les nuances du mouvement de l’assise. En laissant pénétrer l’espace de représentation dans l’écriture artistique. Et de l’autre, une dynamique qui creuse la singularité de chaque répétition et modulation. Pour une pièce-processus, aussi poétique que fascinante.