ART | CRITIQUE

Joana Vasconcelos. Où le noir est couleur

PCéline Piettre
@22 Jan 2008

L’œuvre de l’artiste Joana Vasconcelos a la délicatesse du point de croix et les élans mélancoliques du fado — le chant traditionnel portugais. Ses sculptures et ses installations monumentales absorbent, en la détournant, la culture populaire de son pays d’origine : le Portugal.

Impossible d’échapper à l’invitation lascive des trois grâces de Joana Vasconcelos, dont le déhanchement aguicheur et la moue arrogante expriment, dans l’outrance, toute la potentialité des séductions féminines. Leur nom : Thalie, Euphrosyne, et Aglaia, en référence aux déesses de la mythologie grecque — les charités — symboles du désir et de la vie festive.

Fardées d’une polychromie criarde, les trois sculptures exhibent les signes d’une sexualité assumée, mais qui n’en a que les apparences. La résille noire qui les habille — fabriquée au crochet— emprisonne les corps et les visages autant qu’elle en souligne les courbes. Et l’on s’aperçoit vite que ce minutieux travail de broderie renvoie la femme à l’une de ses attributions traditionnelles : la couture.
Par ce subtil décalage, l’artiste semble nous rappeler que de la catin à l’épouse soumise, il n’y a qu’un pas. Et pas assez d’intermédiaires.

Á quelques mètres d’elles, contrastant avec les couleurs saturées de leurs toilettes, une monumentale chimère de tissus noirs remplit l’espace de son encombrante mollesse.
Suspendue au plafond, nantie d’un abdomen joufflu et d’un semblant de queue, elle — Victoria — a une vague allure zoomorphe.
Là encore, le tricot est roi, rejoint par un cortège de boutons, plumes, fourrures, flonflons et postiches. Là encore, il rend hommage à cet artisanat féminin emblématique des milieux ruraux au Portugal, et partout ailleurs, dans la vieille Europe. Littéralement hissé au rang d’art…

Attentive à la culture populaire de son pays d’origine, l’artiste en détourne l’usage pour en révéler les vertus critiques. Ses cibles principales : les symboles de la tradition portugaise, de Notre-Dame de Fatima — déclinée ici en une série de petites statuettes phosphorescentes rangée à l’arrière d’une camionnette Piaggo EP50 — au genre musical du fado, dont il ne faut pas oublier qu’il fut l’hymne officiel sous la dictature de Salazar.
Icônes creuses au service de la production de masse et des identités nationales, même les plus malsaines, vecteurs d’un certain archaïsme social, ces pratiques sont indissociables du travail de Joana Vasconcelos.

S’il elle s’attaque à la société de consommation en général, comme en témoigne son Cœur Indépendant Rouge, réalisé à partir de couverts en plastiques, elle sait en inventer des formes poétiques.
Empruntant au Pop art son ironie critique, vibrant sur la corde féministe d’une Annette Messager, elle reste unique dans sa manière de transformer le vulgaire en une féerie de couleurs, où même le noir y trouve une place.

Publications :

— Jacinto Lageira, Joana Vasconcelos. Éd. Ariac. Portugal. 2007

Joana Vasconcelos
Euphrosyne, 2008. Ciment, crochet fait main, peinture acrylique. 210 X 45 X 38 cm
Thalie, 2008. Ciment, crochet fait main, peinture acrylique. 264 X 55 X 60 cm
Aglaia, 2008. Ciment, crochet fait main, peinture acrylique. 210 X 50 X 38 cm
www.fatimashop. 2002. Piaggo APE50, statues phosphorescentes de Notre-Dame de Fatima, lumière ultraviolette, vidéo.
Cœur indépendant rouge, 2005. Couverts en plastique, son. 345 X  200 X 80 cm

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