C’est désormais acquis: l’art contemporain investit (au sens militaire du terme) chaque année le Château de Versailles, l’un des fleurons du patrimoine architectural français. Cette année, après cinq artistes hommes, c’est à une femme que le Château est ouvert: la portugaise Joana Vasconcelos qui, en terme de prise d’assaut des lieux, n’y va pas d’une main morte puisqu’elle a installé un véritable hélicoptère dans une salle. Mais non sans humour : cet hélicoptère, elle l’a recouvert de feuilles d’or, orné de milliers de brillants et paré de plumes d’autruche roses, saumon et orange.
Joana Vasconcelos, qui réserve par ailleurs une large place au crochet et aux tissus, à la joaillerie, la marqueterie ou la dentelle, aux travaux longtemps dits «féminins», et qui affirme par ses œuvres son identité de femme, n’a pas rencontré d’obstacle majeur à son action de tourner en dérision l’activité masculine de la guerre dans ce haut lieu du pouvoir militaire que Louis XIV a amplement exercé et incarné.
C’est donc une bonne nouvelle, on peut se rire en France de la guerre et des militaires, et sans doute des lieux et des instruments masculins de pouvoir. Ils ne sont plus intouchables. Au moins formellement.
En revanche, l’exposition de Joana Vasconcelos à Versailles débusque avec force la persistance dans la société contemporaine française d’un tabou ressortissant à la féminité, un tabou qu’une femme n’a pas même été autorisée à aborder, c’est le tabou des règles, du sang menstruel, et de l’hygiène intime des femmes.
Comment expliquer autrement la censure que la présidente du domaine de Versailles, Catherine Pégard, une proche et ancienne conseillère de Nicolas Sarkozy, a opposé au souhait de l’artiste d’exposer l’une de ses œuvres majeures, La Fiancée (2005), qui n’a jamais été présentée en France.
Il s’agit pourtant d’une œuvre d’une grande finesse et retenue : un immense lustre de 5 mètres de hauteur, d’apparence très classique, mais composé d’un matériau tabou, jugé totalement inacceptable par la maîtresse de céans: des milliers de tampons hygiéniques d’une blancheur immaculée.
Comme tous les censeurs, Catherine Pégard, avance de fausses raisons: celle du contrat (ce n’était pas prévu au départ); celle du public à ne pas choquer («Les visiteurs de Versailles viennent du monde entier et sont de cultures différentes»); celle de l’esprit du lieu («Le château n’est pas une galerie. Les œuvres présentées doivent entrer en résonance avec ce lieu»).
On est loin des performances de Gina Pane qui se servait de «tampons menstruels utilisés pendant une semaine qui précédait l’action» (Gina Pane, Action autoportrait(s), Notes, 1973, galerie Stadler). Pourtant à l’époque, en 1973, voici près d’un demi-siècle, le corps, la sexualité et la fécondité des femmes, et leurs revendications au plaisir et à la libre disposition de leur corps, toutes ces questions morales et politiques n’étaient, en France, pas circonscrites aux espaces marginaux des galeries d’avant-garde. Elles étaient débattues sur la place publique, dans la presse, dans la rue, dans les tribunaux, et finalement à l’Assemblée nationale avec le vote de la loi sur l’avortement.
Cette censure résonne comme une régression, et souligne que la permissivité libérale qui envahit les corps de toutes parts n’est peut-être en fait que l’autre face d’une nouvelle version de leur assujettissement.