Après l’échec du Printemps de Prague, qui se solde en août 68 par l’invasion des troupes du Pacte de Varsovie, la République socialiste tchécoslovaque connaît une période de durcissement idéologique et politique: la «Normalisation». En réaction à cet autoritarisme, et comme le souligne le titre de l’exposition, Jiri Kovanda s’oppose au «reste du monde»: se différencier à tout prix, exposer son rejet de l’habitus social communiste, tels sont les moteurs de ses interventions. L’artiste se complait alors dans la mise en scène d’un univers insolite que gouverne l’absurde. C’est au sein de ce manège excentrique que Kovanda se redéfinit comme sujet, être pensant et titulaire de droits – entre autre celui de briser, à son échelle, la norme imposée par le régime politique en place.
A la manière dont l’artiste commente ses happenings, nous serions en droit de penser qu’il vise le contact humain: «3 septembre 1977 – Dans un escalator, je me retourne, je regarde dans les yeux la personne qui se tient derrière moi», ou encore «8 décembre 1977 – Les mains sur les yeux, je marche aveuglément au travers d’un groupe de gens jusqu’au bout du couloir». Mais au contraire, éphémère et distante, la relation à autrui s’élabore sans échange. L’autre ou la foule, qui apparaissent disciplinés, n’existent que pour lui servir de contrepoint. Jiri Kovanda se tient seul, unique protagoniste de ses interventions, réaffirmant ainsi son individualisme et son originalité. Rappelons que, moins d’une décennie avant que l’artiste n’entreprenne ses premiers travaux, Milan Kundera publiait à Prague La Plaisanterie, ouvrage dans lequel l’anticonformisme du héros, jugé inacceptable par les communistes tchécoslovaques, condamnait celui-ci à la déchéance sociale.
Ce rejet de la norme aurait pu prendre des tournures irritantes. Mais Kovanda y a placé tant de fantaisie qu’il s’apparente, le plus souvent, à un adolescent facétieux: sur telle photographie, on le voit caché derrière une poubelle, observant une passante à son insu; sur telle autre, il contemple les spaghettis qu’il vient de jeter contre le mur… Ses Å“uvres des années 90 relèvent du même ludisme, comme en attestent les titres : Une collision avec un cerf peut ruiner financièrement un conducteur; Des handicapés en fauteuils roulants organisent une course d’orientation, etc. Ces créations hybrides (à la fois sculptures, peintures et objets) s’inscrivent dans une esthétique de bricolage et de négligence volontaire qui va de pair avec leur visée drolatique.
Jusqu’alors Jiri Kovanda n’avait presque jamais exposé en France. Via un accrochage trans-périodique, les commissaires d’exposition Guillaume Désanges et François Piron ont donc souhaité confronter ses photographies d’interventions à d’autres univers artistiques. Si cette pratique a le mérite de resituer la création au centre d’un réseau thématique, on est en droit de s’interroger sur sa pertinence: éclaire-t-elle réellement la lecture de l’œuvre de Jiri Kovanda? Car si beaucoup de parallèles se justifient (Contact, dans lequel Kovanda frôle une passante, et Relation in Space d’Abramovic et Ulay, pour ne citer qu’un seul exemple), d’autres laissent rêveur. Cependant, bien que l’accrochage demeure subordonné à la subjectivité revendiquée des commissaires, il n’en demeure pas moins que l’exposition y gagne en spontanéité et en attrait.
English translation : Laura Hunt
Traducciòn española : Santiago Borja
Jiri Kovanda :
— November 18th, 1976, Prague. I’m Waiting for Someone to Phone Me…, 1976. Photo noir et blanc, texte. 29 x 21 cm.
— Contact, September 3rd, 1977, Prague., 1977. Photo noir et blanc, texte. 29 x 21 cm.
— November 19th, 1976. Và clavské nà mesti, Prague., 1976. Photo noir et blanc, texte. 29 x 21 cm.