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Jin Meyerson

PPierre-Évariste Douaire
@12 Jan 2008

Jin Meyerson fait de l’accident la matière de sa peinture. Ne renonçant pas à la séduction, les amas de tôles et de poutrelles donnent une peinture troublante, colorée et graphique à la fois. Des décombres, un chemin de croix zigzague, d’un coin à l’autre du tableau. Les rescapés sont les spectateurs impuissants de ce champ de bataille.

Après deux ans d’absence, Jin Meyerson ouvre la nouvelle saison de la galerie Perrotin. Après «Social Distorsion», le jeune Américain revient avec sa peinture survitaminée. Elliptiques et tordues ses toiles éclatent les formes pour donner un résultat en bouquet de feu d’artifice.

Lors du précédent show, les images étaient léchées dans un rendu aussi précieux que précis. Tordant le coup aux images médiatiques, l’artiste les cassait pour créer son propre langage cursif. Cette destruction des mass media lui permettait de forger sa propre palette. Le tour de force était réalisé grâce à un outil aussi utile que rapide: l’ordinateur, transformé en véritable centrifugeuse d’images.
Le mixeur numérique hachait les contours pour mieux les combiner à sa guise. La forme était aussi nouvelle que brillante et donnait à voir des cryptogrammes abstraits. La virtuosité se déployait dans des compositions maîtrisées, mais elle avait un arrière goût d’inachevé. Le résultat était novateur, mais il peinait à trouver son sujet.

Cette fois-ci l’attente est récompensée. En se concentrant aujourd’hui sur le tourisme et sur les catastrophes, Jin Meyerson place dans le mille et fait de l’accident la matière même de son sujet. Après la «Bad Painting», la «Crash Painting».

Dans un style moins léché, moins tape à l’œil, mais beaucoup plus stimulant, l’anamorphose numérique se met aujourd’hui au service d’un récit, d’une actualité brûlante, aussi fumante que les carcasses et les débris représentés.
Les grandes toiles mettent en scène des accidents de transport. Les restes d’un train forment un chemin de croix en forme d’accordéon dézingué. Les wagons s’éparpillent sur la chaussée, au milieu d’un champ de ruines.
Le vernissage précédant de deux jours seulement l’anniversaire funeste des attentats du 11 septembre 2001, n’est pas sans plonger le spectateur dans une époque où le terrorisme est la menace numéro une des journaux télés. Dans l’amoncellement de voitures éclatées, dans tous ces zigzags, on peut déceler une signature en forme de Z, ce Z qui rappelle «Ground Zero».

La catastrophe industrielle est «Ce qui arrive», pour reprendre le titre de l’exposition du philosophe Paul Virilio à la Fondation Cartier. Elle est tout autant un spectacle planétaire qui se mesure à l’audimat mais aussi au nombre de tous ces reporters amateurs, à la fois acteurs et voyeurs de ce qui leur arrive.

L’accident est maintenant dépassé par les secousses sismiques qu’il engendre. Les retombées de sa médiatisation le prolonge dans un souffle qui le submerge et le recouvre d’une réalité cathodique instantanée. Pourtant en 1991 La Guerre du golfe n’a pas eu lieue faute de caméras, comme l’écrivait le sociologue Jean Baudrillard, et ce malgré son cortège de cadavres bien réels, alors que l’embrasement des tours jumelles, grâce aux relais des chaînes de télévision, a perpétué l’attentat d’une manière exponentielle. Plus récemment la couverture médiatique du Tsunami par les camescopes des touristes a donner de la matière au cirque médiatique. L’image créé l’événement, elle engendre la catastrophe.

C’est justement à partir d’elle que Jin Meyerson construit ses tableaux, à la manière des Cars Desasters de Warhol. Digérant les images des journaux, le peintre en tire un idiome chromatique. La peinture du chaos prend ici tout son sens. Ne renonçant pas à la séduction, la peinture fond, s’irise, donne un écho vibrant et déformé aux carcasses calcinées, broyées, du chapiteau urbain étendu dans son linceul.
Ce monde est déstabilisé par la peinture même, brûlé à l’essence de térébenthine il ne peut se relever. La peinture orchestre cette désarticulation, ce passage du vertical à l’horizontal, ce passage de la vie à trépas. Les tâches de couleurs traînent sur la toile, comme les cotillons par terre après une fête. La peinture est une onde de choc. Serpentine, elle a l’épaisseur et la couleur saturée d’une pâte à dentifrice. Meyerson sonde son sujet, comme un corps malade, il l’ausculte au plus profond de ses entailles. Médecin légiste il met les scellés sur les Body Bags emportant les restes de notre ancienne Babel.

Pas d’analyse dans ce tourbillon en couleur sur fond d’écran noir et blanc, juste de la distance. Les corps sont absents. Le «zéro mort» voulu par les stratèges du Pentagone, lors de la première Guerre du golfe, est toujours la règle à «Ground Zero». Les cadavres sont portés disparus, que ce soit à New York, Madrid ou Londres. L’artiste ne les représente pas, tout au plus il en trace les contours en fluo. Les décombres les ont ensevelis, ils ne restent plus que des survivants qui se muent en spectateurs de leur propre destin brisé. Les rescapés sont des curieux, ils balisent la scène du drame. Témoins oculaires ils deviennent des pièces à conviction, des éléments du décors. Morceaux d’un puzzle éclaté, ils prennent place dans ce grand chaos. Les façades craquent et les masques tombent. Les faux semblants laissent place à des spectateurs impuissants. Tout comme nous face à notre écran télé. Joyeux anniversaire.

Traducciòn española : Patricia Avena

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