Commandé par l’Aivd, les Renseignements généraux et services de sécurité des Pays-Bas, le travail de Jill Magid a subi quelques modifications. Dans un premier temps, et suite à une enquête approfondie, l’artiste est sélectionnée pour donner corps à cette organisation gouvernementale. Elle réalise donc des interviews des agents qui la composent et consigne durant trois ans ces conversations intimes dans ses carnets de notes.
The 18 Spies, oeuvre composée de textes imprimés et exposés au mur sous des cadres blancs, décrit les dix huit agents qu’elle a rencontrés. Les pages sont constituées d’un paragraphe bicolore puis d’un autre, plus décousu, dont les mots écrits en rouge sont espacés les uns des autres.
On comprend très vite que le texte est répété deux fois mais que certains passages ont disparu. L’Aivd a confisqué une partie des pièces produites par Jill Magid avant leurs premières présentations. Des coupes franches ont été opérées au coeur de l’oeuvre. Certains cadres sont vides, désertés de toute présence. Les personnes qui les occupaient par leurs récits n’existent plus.
L’oeuvre I Can Burn Your Face est directement tirée des mêmes manuscrits, mais matérialisés avec des néons posés au sol. Trois phrases, qui font écho aux passages précédents, sont éteintes, transparentes, sans vie. Elles font référence aux confiscations subies par Jill Magid. Les autres brûlent intensément dans un bruissement perpétuel. La combustion a lieu sous nos yeux et semble interminable. La chaleur et la lumière orangée qui se diffusent dans la pièce nous enveloppent. L’atmosphère devient plus lourde.
«Brûler» un visage est une expression utilisée par l’Aivd pour signifier révéler l’identité d’un agent. L’organisation a censuré les propos récoltés par l’artiste. Les mots disparaissent et l’oeuvre témoigne de la difficulté toujours actuelle de transmettre une information. La liberté d’expression se confronte à la réalité politique. L’individu est soumis au silence, replongé dans l’anonymat. Le titre de l’ensemble Plus le verre est épais fait entrevoir les méandres et les rouages auxquels l’artiste a dû se confronter. L’Art et le Pouvoir n’ont pas en commun la transparence.
«Je cherche à mettre en place des relations intimes avec des structures impersonnelles, déclarait Jill Magid lors d’un entretien. Les systèmes que je choisis pour mes travaux fonctionnent à distance, ils ont une perspective “grand angle”, ils égalisent tout le monde et effacent l’individu. Je cherche l’intimité potentielle de leurs technologies, l’illusion de leur point de vue omniscient, la manière dont celles-ci détiennent une mémoire (même si elles cessent de se souvenir), leur position ancrée au sein de la société (qui explique leur invisibilité), leur autorité, leur intangibilité apparente — et avec tout ceci, leur réversibilité potentielle».
Ces propos résument bien le discours et les choix plastiques de Jill Magid. Le pouvoir et la censure sont incarnés par la présence et par le manque, par le plein et le vide. Si la lumière, comme source de vérité, est éteinte avant même d’avoir déversé son flot d’informations, sa lueur et son absence nous instruisent quand même sur le visage actuel de notre société.
—Vue de l’exposition The Ticker The Glass, 2009
—Vue de l’exposition The Ticker The Glass, 2009
—Vue de l’exposition The Ticker The Glass, 2009
—Vue de l’exposition The Ticker The Glass, 2009
—Vue de l’exposition The Ticker The Glass, 2009