ART | EXPO

Jewels from the Personal Collection of Princess Salimah Aga Khan

07 Sep - 22 Sep 2012
Vernissage le 07 Sep 2012

Les 135 planches de l'œuvre Jewels from the Personal Collection of Princess Salimah Aga Khan rassemblent, sous la forme d'un herbier, des espèces végétales — plantes et fleurs — collectées par l'artiste dans les plates-bandes privées qui décorent l'entrée des immeubles de l'Upper East Side, le quartier le plus riche de New York.

Camille Henrot
Jewels from the Personal Collection of Princess Salimah Aga Khan

Si, comme Roland Barthes le souligne (Comment vivre ensemble. Cours et séminaires au collège de France, 1976-1977, édition établie par Éric Marty et Claude Coste, Paris, Seuil, coll. «Traces écrites», 2002), les fleurs sont le symbole des choses inutiles et luxueuses, celles qui ont été plantées dans ces décorums urbains ont pour mission de construire une frontière et de figurer, au sens étymologique, l’image du «paradis sur terre». Un «paradis pour les vivants» comme un écho au «paradayadâm», terme qui signifie, en vieux perse, «au-delà du mur» et qui, associé au mot «djivadi», énonce ce qui est «vif, vivant, du temps de la vie» (Clarisse Herrenschmidt).

Les fleurs, prélevées dans ce paradis pour les vivants que constitue l’Upper East Side, sur l’île de Manhattan, sont ici rassemblées sur les fac-similés d’un catalogue de vente aux enchères publié par Christie’s. Ce catalogue présente le descriptif de l’intégralité des bijoux de la princesse Salimah Aga Khan mis en vente par Christie’s à l’hôtel Richemond, à Genève, le 13 novembre 1995, bijoux reçus au cours de ses vingt-six ans de mariage avec l’Aga Khan. Cette vente intervint lors de son divorce, la même année, l’Aga Khan ayant essayé en vain de l’empêcher par voie judiciaire.

Tout ce qui est luxe, surplus, accumulation, dépense, entretient, selon Michel Leiris (L’Homme sans honneur, notes pour le sacré dans la vie quotidienne, Paris, Jean-Michel Place, 1994, p. 93.), un rapport avec l’extase et, par extension, avec le débordement. Les fleurs de Jewels en seraient ici la métaphore, et le descriptif précis de chacun des bijoux, l’inventaire des signes de richesse domestique. Ce débordement tel que présent dans Jewels tient aussi à la symétrie et au redoublement entre le geste de la princesse Salimah Aga Khan et celui de l’artiste Camille Henrot: l’une se débarrasse de l’héritage de plusieurs générations de femmes issues d’une des familles les plus riches du monde — celle de la dynastie des Aga Khan —, tandis que l’autre collectionne les fleurs collectées en passant «au-delà du mur». Pour les deux: transgression des frontières (celui du paradis pour les vivants) et des codes imposés par les diktats d’une richesse tournée vers les signes de sa propre représentation: transcendance par l’usage et le détournement des codes d’une féminité archaïque, close sur elle-même.

La notion de «tonga» (ou «taonga») sur laquelle se penche Marcel Mauss dans son Essai sur le don, paru en 1923-1924, pourrait ici éclairer ce rapprochement. Marcel Mauss constate en effet que la notion de «tonga» connote, en maori, tahitien, tongan et mangarevan, «tout ce qui est propriété proprement dite, tout ce qui fait riche, puissant, influent, tout ce qui peut être échangé, objets de compensation: les trésors, les talismans, les blasons, les nattes et idoles sacrées, quelquefois même les traditions, cultes et rituels magiques». Les bijoux et les archétypes du féminin présents dans Jewels pourraient ainsi être considérés comme des objets «tonga-native», en rapport avec les dons utérins, propriétés plus attachées au sol, au clan, à la famille et à la personne.

En somme, l’exposition «Jewels from the Personal Collection of Princess Salimah Aga Khan», jouant sur ces connections partielles, invite à s’interroger sur la notion symbolique de «signe de richesse», sur l’inégalité de leur répartition, ainsi que sur leur capacité à constituer des compensations, notamment entre les genres.

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