Que se passe-t-il lorsque deux personnes se rencontrent pour la première fois ? La conversation peut être banale, mondaine, rester en surface. Elle peut aussi plonger à l’intérieur des corps et des vies, pour atteindre des profondeurs étonnantes. La performance chorégraphique de Jefta van Dinther, Dark Field Analysis, interroge le phénomène. Sur une scène dépouillée, où la lumière fait texture, deux performeurs (Juan Pablo Cámara et Roger Sala Reyner), échangent. Ils sont nus, à l’exception d’un dispositif de micro portatif, et se meuvent avec lenteur. Ils parlent, se déplacent, s’observent, mutuellement et individuellement. Le titre de la pièce, Dark Field Analysis, fait référence à une technique d’observation, notamment employée en médecine alternative. La « microscopie en champ sombre » consistant à observer un organisme sur fond sombre, plutôt que sur fond clair. Faisant ainsi ressortir le rapport à la lumière et aux transparences.
Dark Field Analysis de Jefta van Dinther : performance mi-scientifique, mi-intuitive
Dans certaines médecines alternatives, l’analyse du sang peut se faire suivant cette méthode de microscopie en champ sombre. Fasciné par l’expérience d’observation de son propre sang suivant cette méthode, le chorégraphe Jefta van Dinther propose ici une sorte de transcription à l’échelle humaine. Avec une plongée dans l’élément de la rencontre, passant par la parole, les regards, les gestes, sur fond d’obscurité. Une parole qui se teinte de philosophie existentielle, lorsqu’il s’agit de scruter la nature humaine. Comme pour aller chercher l’essence au cÅ“ur même de la matière. Une approche intuitive qui n’est pas sans évoquer Henri Bergson et sa distinction entre observations scientifique et métaphysique. La méthode scientifique se bornant à l’observation des faits ; l’approche métaphysique s’autorisant une plongée dans les choses. À la limite entre ces deux dynamiques, par transparence, Dark Field Analysis offre ainsi une performance où se mêlent observation factuelle et projection sensible.
Entre mélancolie et étonnement : le duo pour explorer les rencontres humaines
Convoquant la musique mélancolique et librement désenchantée de PJ Harvey (Horses In My Dreams et The Slow Drug), Dark Field Analysis déploie la trame d’une rencontre sous haute surveillance. Tout comme le sang ne recèle plus guère de mystères, la chair des relations humaines n’est plus vraiment une terra incognita. Mais tout comme le sang observé en champ sombre, les rencontres humaines peuvent encore susciter une forme de fascination étonnée. La méthode d’observation jouant ici le rôle de pourvoyeur d’expérience délocalisante. Si les deux personnages s’observent en train de s’observer tout en se sachant observés et en train de s’observer, progressivement s’installe néanmoins une part d’inconnu. Et tandis que les rencontres usuelles ont plutôt pour but de rendre connu l’inconnu, Jefta van Dinther instille une expérience inverse. Avec Dark Field Analysis, la rencontre entre deux êtres similaires recrée progressivement de l’inconnu. Pour une performance singulière, à rebours des attentes.