Issus d’un collage carnavalesque, les personnages de Jean-Pierre Khazem s’évertuent à paraître ordinaires. Faisant fi de leurs grosses têtes, de lama ou de lapin bleu, ils déambulent impassibles dans les rues de Paris.
Aveugles, dissociés d’un visage condamné à l’inexpressivité, les corps maladroits affectent des poses touchantes, ou grotesques, de marionnettes. Souvent sollicitées pour des publicités, ces créatures hybrides font une pause à l’Atelier du CNP.
Les modèles, tous féminins, intégralement dévêtus, sont affublés de têtes, à peine surdimensionnées, de mannequins de cire. L’écart est donc mince, le résultat d’autant plus monstrueux. Ces créatures au visage lisse de manga, au regard vide, et fixe, figées dans les poses caractéristiques de l’inactivité — couchées sur la moquette noire, ou debout, les bras ballants — sont comme suspendues en mode Pause, en attente d’une providentielle réactivation.
Reléguées dans une zone indéfinissable — couloirs lisses et gris, plafonniers néons, et miroirs sombres —, leurs chairs, marbrées des veinules bleutées qui courent sous la peau, et foisonnantes de noires pilosités pubiennes, irradient de rose la pénombre veloutée. Elles sont plusieurs, et se démultiplient dans les miroirs.
Tels des clones, elles se ressemblent étrangement. Corpulence, physionomie, sont presque identiques. Presque, seulement. L’identité, et l’altérité, sont ici en question, sur un mode délicieusement parodique, car rien n’est caché des subterfuges — fausses têtes, et murs de carton. Point de manipulation numérique, pourtant coutumière à l’auteur, qui nous rappelle ainsi combien l’inquiétante étrangeté de l’autre est fondée d’abord sur l’apparence : façade façonnée, comme interface en prise avec le monde, et protection impénétrable.
Jean-Pierre Khazem
— Pause, 2002. Série de 18 photos couleur.