Bien que le centre Pompidou lui ait consacré une exposition en 1995, Jean-Michel Sanejouand jouit d’une notoriété assez intimiste dans le monde de l’art actuel. Cet artiste, qui s’inscrit dès ses débuts dans la mouvance conceptuelle de l’époque, n’aura de cesse par la suite de brouiller les cartes. Convoquant tour à tour la peinture, la sculpture, l’installation et les différents genres de l’art moderne (ready made, land art, expressionnisme, minimalisme, etc.), son parcours artistique est semé d’embûches pour le visiteur. Et c’est cet itinéraire dans l’art de la deuxième moitié du XXe siècle que retranscrit l’exposition monographique du Plateau.
Le ton de l’exposition est donné dès le hall du Plateau où est présenté A1 (1974) issue de la série des Tables d’orientation (1974-1977). Reprenant trait pour trait le dispositif des aménagements touristiques dans les sites naturels, cette œuvre se présente comme une planisphère encadrée par différentes photographies.
La table d’orientation perd sa valeur d’usage lorsqu’on se rend compte qu’elle a été amputée de sa légende. Ne renvoyant plus à aucun lieu en particulier, c’est vers son appréciation comme pure objet formel à laquelle le visiteur est renvoyé. On passe d’un objet dédié à l’orientation à un sentiment de désorientation, leitmotiv — s’il en est — de l’œuvre de Jean-Michel Sanejouand.
À sa manière, Jeu de Topo (1963) reprend cette idée. La pièce se présente comme une sorte de jeu de dames pour land-artiste: deux rangées de cailloux se font face sur un plateau en plexiglas de 50 x 50 cm. Les deux joueurs sont invités à déplacer les cailloux à peu près comme bon leur semble (les règles du jeu affichées à côté de la pièce restent ouvertes): « Il n’y a ni gagnant ni perdant ». Seul le plaisir quasi enfantin de la manipulation des formes créées par les agencements de cailloux retient l’attention des joueurs.
Jeu de topo mériterait à lui seul la visite de cette exposition car il parvient à faire la jonction entre deux paradigmes de la modernité artistique: une esthétique du jeu d’inspiration dadaïste (Duchamp, Picabia, Tzara…) et les questionnements sur le site issus du Land Art américain. Cette pièce charnière, qui date de 1963, préfigure en quelque sorte ce qui émergera sur la scène new-yorkaise quelques années plus tard.
À plus d’un titre, Jeu de topo ne peut s’empêcher d’apparaître comme la préfiguration de Mirror Displacement (1969), œuvre majeure de la fin des années 1960 récemment célébrée au Whitney Museum de New-York lors d’une rétrospective consacrée à Robert Smithson.
Toutefois on regrettera — conservation oblige! — que Jeu de topo soit « emmuré » sous une cloche de verre, ce qui rend toute manipulation impossible. La présence de deux tabourets tam-tam de part et d’autre de l’échiquier paraît, quant à elle, anachronique quand on sait qu’ils ont été créés par le designer Henry Massonnet en 1968 !
Nul doute que certaines œuvres de Jean-Michel Sanejouand — notamment celles des années 1960-1970 — ne sont pas considérées à leur juste valeur sur la scène artistique actuelle. Hélas, et comme nombre d’artistes de sa génération, cette rétrospective nous pousse à penser que Sanejouand n’est peut-être pas né du bon coté de l’Atlantique…
— Linoleum «Feuilles mortes», 1966. Tissus jaune, rhodoïd et linoleum. 100 x 100 cm.
— Organisation d’espace, 2005. Création in situ, le Plateau.
— Jeu de topo, 1963. Chaises, table, « damier », huit cailloux.
— 07.04.1974, 16h10, 1974. Encre de chine sur toile. 50 x 100 cm.
— A7, 1974. 105 x 105 cm.
— Sans titre, acrylique sur toile – 80 x 60 cm.
— De l’intérieur, 1992. Acrylique sur toile. 195 x 130 cm.
— Les Deux Amis, 1997. Acrylique sur toile. 162 x 130 cm.
— 28.12.78, 1978. Acrylique et vinylique sur toile. 89 x 116 cm.
— Le Silence, 1996. Bronze. 220 cm.
— Pieds de chaise et pare-feu, 1965. Quatre piètements métalliques, plaque métallique perforée. 78 x 80 x 73 cm.