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Jean-Louis Déotte

Comment penser les rapports entre art et technique ? Question que Jean-Louis Déotte aborde à partir des appareils du point vue des philosophes Rancière, Lefort, Lyotard, Nancy, Foucault...

Interview à propos de son livre L’Epoque des appareils (Lignes/Manifeste, 2004)
Par paris-art

Paris-art. Un Manifeste vient d’être lancé, revendiquant contre la production contemporaine et le marché international, un  » art pour l’homme « , le  » retour au sensible  » pur et à la  » vraie peinture  » et cela pour un marché de proximité. Ce qui frappe, une fois de plus, c’est la charge contre les institutions de la culture. Votre ouvrage semble une réponse à ce Manifeste, car il porte, non sur les arts pris en eux-mêmes, mais sur leurs conditions que vous appelez appareils, conditions qui sont relatives, époque après époque. Est-ce que la catégorie d’art(s) continue d’être pertinente ? Est-ce qu’on peut isoler un sensible en soi ? Est-ce qu’on peut penser la peinture par exemple en dehors de la culture ?
Jean-Louis Déotte. Je crois qu’au fond de l’affaire, il y a, outre la question du marché, celle de la technique. Le  » sensible pur  » n’est une fiction que l’on ne peut élaborer qu’en mettant entre parenthèses tous les rapports de l’art à la technique, que ce soit la technique d’une œuvre, celle d’un peintre (puisque de nouveau la peinture est privilégiée), la technique de la reproduction et bien sûr l’appareillage des arts. Mais considérons déjà la question de l’art. Ce n’est qu’à partir de la fin du XVIIIème, du fait du Romantisme d’Iéna des frères Schlegel, de Schleiermacher (dont on vient seulement de traduire l’esthétique), de Novalis, etc. , que la question de l’art a été posée en tant que telle. Avant, chez Kant, par exemple, le jugement esthétique ne portait pas sur une œuvre d’art mais plutôt sur un objet de la nature collectionné et la partie esthétique de la Critique de Faculté de juger s’achève par la reprise, relativement académique, d’un système des beaux arts hiérarchisé selon l’opposition traditionnelle Forme/Matière.
Lessing dans son Laocoon introduisait un peu avant à ce que Rancière nomme  » régime esthétique  » de l’art, en émancipant les arts de l’espace (essentiellement peinture et sculpture) de l’assujettissement traditionnel à la poésie, devenant elle-même le paradigme des arts du temps. Lessing marque ainsi la fin du  » régime représentatif  » des arts ( toujours au sens de Rancière), d’autant qu’il introduit la distinction entre une œuvre destinée au culte et la même qui peut-être livrée au jugement esthétique du seul fait de la suspension muséale. Toute l’esthétique allemande depuis la moitié du XVIIIe est en fait une esthétique du musée, de Winckelmann jusqu’aux Cours sur l’Esthétique de Hegel, en passant par Hölderlin, etc. Il en va de même en France pour la critique d’art d’un Diderot ou pour l’écriture de l’histoire d’un Michelet.
J’ai essayé de montrer dans Le musée, l’origine de l’esthétique (1993, L’Harmattan) que la question de l’art n’est possible que du fait de l’institution de cet appareil spécial qu’on appelle musée, parce qu’il suspend, met entre parenthèses, la destination cultuelle des œuvres, c’est-à-dire leur capacité de faire-communauté et de faire-monde et qu’à partir de lui les œuvres devenant des suspens peuvent être pour la première fois contemplées pour elles-mêmes, à condition comme le signale Benjamin,que je reste à trois mètres d’elles. . .
D’où l’idée kantienne d’un jugement esthétique nécessairement contemplatif et désintéressé parce que mon existence n’est plus un enjeu de l’œuvre (l’art n’est donc déjà pas pour l’homme !), que mon existence ne dépend pas de celle de l’œuvre, ce qui aurait été le cas, au contraire, si elle avait été de culte, théologiquement ou politiquement parlant : niveau d’analyse qui reste celui de M. Heidegger (De l’origine de l’œuvre d’art).
Quand on s’interroge comme Greenberg ou bien d’autres, sur l’essence de la peinture, de la sculpture, de la musique, etc, on ne devrait jamais oublier d’isoler une sorte de  » transcendantal impur  » (Adorno), nécessairement technique et institutionnel, lequel ouvre le champ de la question de l’art et qui est donc au cœur du  » régime esthétique  » de l’art. On peut caractériser cet appareil en disant non qu’il invente l’art, ce serait une stupidité constamment démentie par l’expérience (l’art ne dépend pas d’un consensus d’experts en la matière), mais qu’il en isole le  » matériau « , si l‘on tient à conserver ce terme trop marqué par l’hylémorphisme aristotélicien.
Prenons un exemple en dehors des arts plastiques, dans la musique contemporaine : si le  » son  » est l’élément minimal de cette musique depuis la  » musique concrète  » de l’après-guerre, on comprend bien qu’il est indissociable de l’invention récente du magnétophone et des dispositifs techniques d’enregistrement et de production éléctro-acoutisques du studio, du disque, du CD, etc. Outre le musée pour les arts plastiques, le  » régime esthétique  » n’aurait pas été possible sans l’invention du patrimoine par Quatremère de Quincy, sans un autre rapport aux ruines, sans l’idée romantique d’une Symlitterarur laquelle suppose bien la bibliothèque, ce dont Flaubert fera la magistrale démonstration, déjà avec la Tentation et surtout avec Bouvard et Pécuchet.
Avant d’être un nouveau rapport entre le dicible et le visible comme l’écrit Rancière (Malaise dans l’esthétique), le  » régime esthétique de l’art  » suppose une révolution de la sensibilité commune, du partage du sensible : l’implicite d’une reconnaissance, celle de l’égalité de la faculté de juger. Ce qui suppose chez tous la même faculté de juger : tous peuvent juger sans distinction d’appartenance, que ce soit des œuvres (expositions du Salon Carré du Louvre à la moitié du XVIIIe), ou des événements politiques (la Révolution française). Nos appareils modernes non pas inventé l’égalité, mais d’une manière plus paradoxale, ils l’ont trouvé/inventé. Ils ont configuré la sensibilité commune. Dans ce sens, c’est de leur côté qu’il faut aller pour dénicher un faire-monde et un faire-époque.

On vous dira qu’on n’a pas attendu la fin du XVIIIè pour parler d’art, qu’il y avait au XVIIè, voire avant en Italie, des Académies dites des beaux arts, qu’en témoigne par exemple en France la querelle du colorisme (J. Lichtenstein : La Couleur éloquente, 1989).
Mais ces débats sur les techniques, sur les rapports dessin/couleurs, sur les contenus, etc. , sont possibles parce que les académiciens partagent les mêmes certitudes, qui font époque, celle de la représentation au sens large : que les arts doivent convaincre et persuader les hommes qu’il faut, et divertir les autres. Outre cette nécessité sociale et politique qu’analyse bien Rancière au titre du  » régime représentatif des arts « , ces académiciens partagent la même exigence : qu’il faut représenter selon les canons de l’appareil perspectif.
Leur programme a été établi, en gros, dès le Della Pictura d’Alberti : l’appareil perspectif établit les règles de la construction légitime de la scène de la représentation. C’est lui qui est ontologiquement et techniquement premier et non l’istoria dont il rend possible l’apparaître. C’est donc à ce niveau que je me sépare de Rancière : il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, l’istoria, sans tenir compte de l’appareil technique la rendant possible comme représentation. Il y a aussi un déni de la technique chez Rancière, comme il y en avait un chez Deleuze et chez Lyotard et d’une manière générale, chez tous les phénoménologues de l’art. Or comme l’istoria respecte les règles de la Poétique aristotélicienne, c’est-à-dire celles de la mimesis au sens fort, si on la retrouve selon Rancière aussi bien comme but de la tragédie de Sophocle, comme but de l’art de la Renaissance, et au cœur de la Fable cinématographique comme chez Hitchock, alors l’istoria, et plus largement la fable, n’est pas un concept discriminant et ne peut donc faire époque. Ce qui fait époque, ce sont les appareils qui la mettent en scène, et d’une manière générale des appareils qui respectent le principe de la rampe cher à S. Daney.
Les artisans et les artistes qu’ils sont devenus à partir du XVe pouvaient avoir des débats (ce que racontent les Vita de Vasari), mais ils partageaient tous la même croyance dans la destination de leur art parce qu’ils l’appareillaient semblablement. Partageant donc la même cosmétique (au sens fort d’ordonnancement selon les principes du Kosmos), c’est-à-dire partageant la conviction qu’une même technique d’apparaître doit être au cœur de leur savoir-faire pour générer une communauté dont ils connaissaient les attentes, ils ne pouvaient avoir de débats relevant de ce que nous nous appelons esthétique. Car dès que l’art entre dans l’époque de l’esthétique, le public destinataire est inconnu.
Chaque œuvre nouvelle est comme déposée aux pieds d’un public qui n’existe pas, qu’elle devra sensibilisée pour qu’il la reconnaissance comme œuvre d’art. Il y a là un cercle. La question de l’art entraîne celle du public, d’où une crise permanente de l’adéquation de l’art et du public. Si je ne risquais d’être mal compris, je dirais que les débats des artistes  » classiques  » étaient  » cosmétiques  » parce que ces débats, idéalement, pouvaient être tranchés par un tribunal, d’où la nécessité des Académies pour trancher entre les litiges des artistes !
Par conséquent, les différentes  » querelle des images  » (querelles à Byzance entre iconoclasmes et iconodules (analysée par M. -J. Mondzain), querelles entre réforme protestante et contre-réforme catholique (cf. Cousinié : Le Peintre chrétien, 2000), querelle sur l’irreprésentabilité de la Shoah ou non, ces querelles ne relèvent pas de l’esthétique au sens qui est le nôtre, mais plutôt de l’onto-théo-cosmétique qui pour moi est un mode de la technique au sens large. Elles ont en commun de supposer une norme pour l’image : l’incarnation, alors que depuis la Renaissance, la norme légitime est celle de la représentation, où la représentation est séparée de ce qu’elle rend possible ou visible comme objet.
Dès lors, entre ces normes ne peuvent exister que des différends au sens du « Différend » de Lyotard : aucun tribunal ne peut trancher, d’où des luttes à mort. Cela n’a rien à voir avec les querelles esthétiques provoquées par les  » avant-gardes « . La question de la présence effective du Dieu dans l’image, ou du Dieu comme image ou représentation ou son absence ou son retrait du sensible, etc. , entraînent des partages radicaux au sein des communautés.
Ces partages mettent en jeu des appareils théoriques et pratiques parce qu’à chaque fois c’est la définition de l’être-ensemble qui est en jeu, de la sensibilité commune et donc, par voie de conséquence, de l’être quelconque (la singularité). La norme de l’incarnation (et pour les genres de discours, de la révélation) ne peut concevoir cet être-ensemble que comme corps, celle de la représentation (et pour les genres de discours du délibératif) que comme objet idéalement rationnel (la sociologie).
L’erreur de certains iconophiles actuels, ce serait de rabattre l’incarnation sur la représentation ou de critiquer la représentation au nom de l’incarnation ( un certain Levinas), de vouloir politiquement que les sociétés qui font légitimement l’épreuve de la division (démocratie) s’incarnent dans un corps (totalitarisme).

Est-ce qu’à déporter l’accent sur les conditions techniques des arts on ne les fait pas disparaître ?
Ce sont les appareils qui donnent leur assiette aux arts et qui leur imposent leur temporalité, leur définition de la sensibilité commune, comme de la singularité quelconque. Ce sont eux qui font époque et non les arts. Ce qui ruine la prétention à établir une connaissance de l’image, une sémiologie générale de l’image par exemple, comme si on pouvait comparer les peintures de Lascaux et les dessins de Magritte.
Ce qui importe, c’est l’étude de l’image et de son support ou de sa surface d’inscription (Lyotard : Discours, Figure). Une icône byzantine relève d’un programme onto-théo-cosmétique qui est nécessairement technique : on ne produit pas une icône comme on peint une cité idéale en Italie !
Ce faisant, on ne réduit pas les arts à des matériaux (ligne, couleur, etc. ) qui prendraient formes grâce aux appareils qui ont fait époque. On doit faire la critique de l’hylémorphisme aristotélicien (c’est-à-dire de la métaphysique traditionnelle qui opposant matière et forme ne conçoit la matière qu’en voie de formation), critique que développe Simondon (J. H. Barthélémy : Penser l’individuation, 2005). On doit y être particulièrement sensible quand on écrit que les arts sont toujours appareillés.
Certes, par exemple, le dessin a été appareillé par l’imposition destinale de la perspective à partir du XVe, mais ce dessin est devenu indissociable de cet appareil : on en a pour preuve en Italie l’émergence de la notion de disegno (J. Ciaravino : Un art paradoxal, 2004), notion qui par sa dissémination, sa polysémie, nous montre que le dessin n’a pas seulement été assujetti à la géométrie comme l’écrivait Lyotard.
En effet, disegno chez les auteurs de Traités, à partir d’Alberti, en passant par Vasari jusqu’à Léonard, va ouvrir un champ sémantique irréductible au concept. Le champ du disegno c’est celui de l’esquisse, de la trace sur un papier, du tracé configurant une figure, du contour pouvant devenir une ombre, quasiment une couleur, à la figure achevée, à l’archive, en passant par le signe de désignation, quasi-linguistique (L. Marin), jusqu’au dess(e)in, c’est-à-dire au projet, jusqu’à l’idée a priori de l’œuvre visée par le génie de l’artiste dans une perspective quasi-platonicienne. On voit bien qu’il ne s’agit pas d’un matériau graphique, opposé à la couleur, envahissant brutalement tout le champ du pictural. Inversement, l’appareil perspectif ne peut être mis en œuvre, exposé, disposé, théorisé pour donner le maximum de sa puissance constructive, en toute légitimité, que s’il est tracé sur un mur pour une fresque et surtout sur un papier qui retiendra tout l’inachevé, travaillant ainsi pour la mémoire culturelle et la transmission en atelier. On ne peut donc distinguer le dessin de l’appareil que pour des raisons d’analyse.
Le disegno a même été la condition de démonstration de l’appareil comme pour toute exposition d’un problème de géométrie (ce qui suppose une question plus fondamentale, que rappelle Stiegler (La Technique et le temps, trois tomes) : celle du support de la pensée. Est-ce que les Grecs auraient pu inventer la géométrie s’ils ne l’avaient tracée sur le sol comme le suppose Platon dans Le Ménon ?
C’est que la pensée pour devenir une connaissance a besoin d’un support d’inscription extérieur, qui, dans un second temps sera internalisé. Il n’y a pas de connaissance sans support permettant la configuration de la pensée qui, sans cela, est insaisissable. S’agissant de l’appareil perspectif, le disegno est donc actualisation de l’appareil et production nécessaire de cet acte en recourrant à un support indispensable : le papier. On ne peut imaginer le disegno sans le papier, qui échappe aussi à la condition de simple matériau. Le papier tient sa suprématie davantage de l’appareil perspectif que de l’imprimerie. Le disegno est au milieu de l’appareil et de l’œuvre : sa temporalité ne peut être que complexe. Les appareils que nous avons analysés (perspective, camera obscura, musée, photographie, cure analytique, cinéma, vidéo, etc. ) ont en commun d’être projectifs, c’est en cela qu’on peut les dire  » modernes « . Ils se distinguent des appareils soumis à la norme de l’incarnation et à des appareils plus archaï;ques, car soumis à la norme du marquage sur le corps et la Terre (et pour les genres de discours, de la narration ou du récit).
Ces appareils  » modernes  » sont peut-être les appareils par excellence parce qu’on peut les analyser en se les représentant puisqu’on peut les placer, concrètement, devant nous. Ils ont un côté prothèse que n’auront plus ceux qui leur succéderont en innervant parfaitement le corps, devenant ainsi invisibles.

Une autre notion semble avoir beaucoup plus d’importance dans le champ de la production contemporaine comme de la critique, c’est celle de dispositif, en particulier dans la description des installations pour un nouveau régime de visibilité de l’art.
Certes, mais  » dispositif  » doit sa gloire à Foucault, en particulier à Surveiller et punir qui est quand même une conception assez paranoï;de de la société. Chez lui, le dispositif couple toujours deux séries hétérogènes, celle du savoir et celle du pouvoir. C’est un peu insuffisant pour fonder une esthétique ! Mais je dois reconnaître une dette : c’est à la suite de Histoire de la folie que j’ai compris le lien entre une institution et un savoir, voire une définition ontologique de la singularité et que j’ai élaboré les rapports entre musée et esthétique. Gardons l’idée d’un rapport entre les arts et les savoirs (l’esthétique théorique pour le musée).
Les savoirs et les arts sont toujours appareillés selon des dispositifs techniques séculaires. Au fond de l’appareil, il y a la fonction de « rendre pareil « , d’appareiller : de comparer ce qui jusqu’alors était hétérogène. C’est ainsi que pour les « modernes », depuis la Renaissance, les phénomènes ne sont connaissables que parce qu’ils sont objectivables (représentables) par l’appareil perspectif qui introduit un espace d’accueil quantifiable, homogène, isotopique : rationnel.
D’où la nouvelle physique à partir de Galilée et le principe de raison selon Leibniz. Il en ira de même pour les artistes (peintre, sculpteur, sculpteur, architecte, etc), qui ne pourront représenter le monde et inventer de nouvelles figures que sur cette base. D’où, comme on l’a dit plus haut, le privilège du dess(e)in comme projet, esquisse, tracé et délinéation achevée d’une figure. Et la subordination de la couleur, surtout à Florence (ce qui sera moins le cas à Venise). On sait qu’appareil a aussi comme sens apparat, parure, etc. Il est stupide de critiquer l’ »esthétisation » de notre monde. Chaque époque a appareillé le phénomème en le rendant digne de paraître : chaque société a des valeurs esthétiques parce que les singularités apparaissant les unes face aux autres dans la sphère publique, elles donnent le meilleur d’elles-mêmes. La mode a toujours été à la mode !
On pourrait continuer du côté platonicien de l’éthique, puisque être beau, c’est être bon (bel et bon) selon le principe qui appareille. Ce sont des sens que ne possède pas le  » dispositif  » qui ne peut que  » mettre à disposition  » ou  » donner du pouvoir sur « .
En outre, le terme d’appareil appartient à la pratique de l’architecture, savante ou populaire. D’une part, les « matériaux » sont rendus pareils pour être réellement assemblés, dès lors la taille de la pierre sera une section des traités d’architecture (stéréométrie), les pierres étant pré-conçues avant d’être taillées, en perspective, de plus, comme aux époques précédentes, l’édifice bâti devra être beau et les constituants d’un mur disposés en ordre. Avec l’Humanisme, on va assister, du fait du néo-platonisme s’ajoutant à l’aristotélisme médiéval, à un assujettissement de ces procédures de construction qui vont être pensées selon le règne de l’Idée et l’on va assimiler l’Idée à la Forme et donc le constituant à une matière à laquelle on donne forme.
L’hylémorphisme des modernes se reconstitue là. Ce que je cherche à restituer, ce serait une notion d’appareil antérieur à ce passage. Ce qu’on sait des bâtisseurs médiévaux, c’est que le projet ne se dissociait pas de l’acte, allant à son rythme, phase après phase, en s’adaptant aux difficultés rencontrées et aux nouvelles destinations, d’où une souplesse incroyable. On n’était pas dans le monde de l’Idée, de la Forme, du Concept et du dessin préalables (certes, le dessin pouvant servir pour expliquer aux compagnons la démarche).
D’une certaine manière, en dehors des Traités de la Renaissance (trattatista), la pratique a dû rester la même, ce qui suppose une intériorisation de démarches cognitives très complexes : mentalement l’architecte-chef de chantier est capable de projeter (projection, élévation, rotation) une figure bidimensionnelle dans les trois dimensions de l’espace, ce qui implique qu’il est capable constamment de l’inverse, et donc de faire établir sur le sol une sorte de patron de pierres déjà découpées en fonction de leur localisation idéale.
Dans ce sens, la pratique de construction est toujours déjà projective, ce dont témoigne les dessins d’architecture des Egyptiens. L’appareil de la perspective viendra à partir de Brunelleschi (concrètement) et Alberti (théoriquement) assujettir (le terme est très fort, puisqu’il s’agit d’assujettir la projection au point de fuite, qui n’est autre chez Desargues que le point du sujet) cette première démarche constructive, indissolublement pratique et cognitive, laquelle ne me semble pas alors relever d’un quelconque hylémorphisme.
Je suppose qu’au fond de toute mise en oeuvre des appareils projectifs et perspectifs « modernes », on retrouvera cet ancrage, quand on ne distingue pas la Forme de la Matière. Accessoirement, je me demande si la notion de Bildung, chère aux Allemands depuis Goethe et Schiller, relève vraiment de l’hylémorphisme ou si quelque chose de l’ancienne pratique constructive ne se fait pas entendre. . .
Mais surtout ce qui distingue dispositif et appareil, c’est que seul le second invente/trouve une temporalité, dès lors l’analyse de la temporalité sera elle aussi soumise à la condition des appareils. Si je ne m’intéresse qu’à la temporalité du dessin comme art, comme le fait d’une certaine manière Derrida dans Mémoires d’aveugle, j’insisterai sur la non-immédiateté du dessin et du motif puisqu’en dessinant, le dessinateur ne peut que regarder sa main agissant et non le motif extérieur.
Pour dessiner, le dessinateur doit s’aveugler au motif ! Le dessin retarde donc toujours par rapport à l’actualité du motif : entre l’événement du motif et l’inscription de la trace, il y a un délai : la temporalité du dessin, en gros, est celle de l’après-coup freudien. C’est celle que l’on rencontre quand on veut décrire le temps : voulant décrire TO, je ne peux le faire qu’en m’en dissociant, me condamnant au T1.
S’agissant du dessin, l’esthétique de Benjamin ira en plus dans le sens d’un retour sur soi de la (même) main qui, dans un premier temps a fléché l’animal et dans un second en porte l’esquisse sur la paroi d’une grotte. Cette duplication réflexive, on peut la nommer : « mimesis originaire ». C’est pour lui la condition du gestus artistique, grâce à quoi une forme artistique, stable, peut fixer le flux infini du perceptif comme le montrait Fliedler (le maître de Klee) dans ses Essais sur l’art et Origine de l’activité artistique.
La temporalité du peintre est là même selon le Lyotard de Que peindre ? Quand l’enfant (l’infans) a été touché un matin de vacances par tel bleu perçant et glacial du ciel, cet affect est resté infigurable : il n’avait pas les moyens techniques, langagiers et non langagiers, pour le symboliser. Il lui faudra lui aussi, d’une certaine façon devenir aveugle, pour, étant devenu peintre, être capable de le porter, ce bleu, sur une toile. Le bleu sera alors plus qu’un bleu de palette. Qui ne voit ici que l’esthétique de Lyotard appareille la peinture selon les principes et la temporalité (l’après-coup) décrits par Freud pour l’appareil psychique ?
Si, au contraire, je ne m’intéresse qu’à la temporalité de l’appareil perspectif, suivant la description que fait Alberti du dispositif géométrique — où le textile a une place éminente, puisque tout est fils, canevas, découpe, etc — alors je réduirai la temporalité à celle qu’invente Alberti : un tableau, c’est une découpe de la pyramide visuelle, cette découpe ne peut être qu’instantanée.
Bref : l’appareil perspectif invente une temporalité inouï;e, celle de l’instant, qui est tout autre chose que l’infinie découpe du continuum du mouvement bien connue des Grecs. Tout autre chose parce que la spatialisation du temps est une rationalisation qui sera au cœur de la Métaphysique de Descartes et de la nouvelle physique de Galilée, la seule à permettre de concevoir une temporalité linéaire dissociée de la question du mouvement. Conséquences : la philosophie de Descartes qui exposera les axiomes de l’appareil perspectif mettra au cœur de sa conception de la connaissance et de la vérité le cogito qui ne s’appréhende que dans l’instant, de la même manière que Dieu crée le Monde instant après instant, dans une discontinuité radicale.

On a l’impression que votre horizon reste limité à celui de la perspective, voire au musée, alors que les appareils dominants sont indissociables du mouvement : cinéma et vidéo (Deleuze : L’image-mouvement, Stiegler : Le Temps du cinéma, etc. ).
Si c’est un lieu commun de l’esthétique depuis Lessing de comparer les arts du point de vue de la temporalité (cf. Adorno comparant peinture et musique), il n’en va pas de même des arts en tant qu’ils ont pour condition les appareils. En ce point distinguons quelques appareils qui, ayant en commun d’être projectifs parce que leur sol commun c’est la perspective, peuvent être dits  » modernes « .
Cette qualification permettra d’entrevoir, à partir d’un autre sol commun, d’une autre surface d’inscription, le numérique, une autre ère temporelle, celle que la notion lyotardienne de  » post-modernité  » qualifie approximativement. Ces appareils peuvent être couplés selon un principe de contemporanéité : perspective à point de fuite unique/camera obscura, musée/photographie, cure analytique/cinéma, exposition /vidéo.
En effet, au verso de l’appareil perspectif, de ses projections et sa subjectivisation, il y a un appareil plus archaï;que, sans origine, que les Arabes pratiquaient depuis longtemps, la camera obscura. Sa philosophie est celle de l’immanence (plutôt Bergson que Leibniz), sa temporalité est celle de la durée continue sans début ni fin : les images inversées du monde phénoménal coulent sur la paroi inversée, en face du sténopé. La singularité spectatrice placée au cœur de la chambre, y reste quelconque, présubjective, adhérente aux flux d’images fatalement ombrées. Les deux appareils s’opposent terme à terme, comme l’instant à la durée ininterrompue. Didi-Huberman a pu montrer récemment que la conception d’une durée immanente et continue avait été élaborée par Bergson non pas tant contre le cinéma, qu’il connaissait peu, que contre la chronophotographie de E. J. Marey (« L’image est le mouvant », in Intermédialités, n°3).
Or la chronophotographie reprend au plus près la conception d’une création discontinue d’un monde qui reste fidèle aux lois de la physique, chère à Descartes. C’est peut-être du côté d’un certain cinéma que l’on trouverait cette temporalité de camera obscura indissociable d’une optique  » romantique « , à la Fiedrich : Mère et fils de Sokourov ou Tropical Malady d’Apichatpong Weerasetakul. Ou, pour la photographie contemporaine : Felten et Massinger.
Le musée et la photographie forment le couple ultérieur. Ils sont quasi-contemporains (fin du XVIIIe, début du XIXe) et projectifs, mais marquent une inflexion par rapport aux précédents appareils, comme si la dimension du projet et de l’idée laissait la place à celle du deuil, voire de la mélancolie. Le paradoxe est le suivant, et il est au cœur de la Révolution française : plus le cercle de l’égalité s’élargit, plus les sans-part rancièriens (La Mésentente) montent sur la scène politique et imposent de nouvelles revendications et donc un nouveau partage du sensible, moins des hommes peuvent rester hors l’humanité du fait de tel ou tel handicap (cécité, surdité, mutité, débilité, voire folie), plus l’intégration et l’égalitarisation des conditions s’affirment (Tocqueville) d’un côté, plus de l’autre le sans fond de la légitimité révolutionnaire devient patent.
Certes, le coeur du pouvoir est bien au centre en un lieu idéalement vide selon les fortes analyses de Lefort, mais depuis la décapitation du roi et la désincorporation du corps politique qui s’en suivit, la recherche de l’arché, de l’archive (avec les sens d’origine, de commencement, de fondement, de ce qui fait autorité, etc) entraîne une dissociation du projet et de sa temporalité : d’un côté l’idéologie révolutionnaire, de l’autre l’archéologie refondatrice. Le Musée du Louvre sera pensé comme ce qui, d’un côté, émancipe les œuvres du passé, réduites jusqu’alors à l’obscurité des collections princières ou monastiques, les livrant enfin à la pleine visibilité de la communication sans limites et de l’autre comme ce qui atteste la permanence idéale de l’unité politique des Français.
Or la temporalité de l’appareil muséal est paradoxale : les œuvres les plus contemporaines seront absorbées dans la mesure aussi où elles ont la capacité de sauver le passé. Etrange rétroactivité où le plus contemporain découvre ce qui était déjà-là, dans les réserves par exemple, et le déclare comme sa cause matérielle. En fait la boucle temporelle muséale est au cœur de toute écriture de l’histoire. D’une certaine manière, l’enjeu c’est l’établissement de la  » vérité historique  » (Freud : L’homme Moï;se) que l’on ne peut pas attester objectivement, aurait-on tous les documents pour le faire ( » vérité matérielle « ).
Le musée, c’est bien ce qui séparant une œuvre de son ancienne destination, livre cette œuvre à l’esthétique, sachant qu’un double perturbe comme un fantôme la contemplation : la trace de la  » vérité historique « .
Tel est le thème de L’Arche russe de Soukourov, où la déambulation esthétique du visiteur  » occidental  » est constamment interrompue par d’anciennes appartenances factuelles ou destinales.
Il en va de même de la photographie, même si ici la vérité historique est attestable du fait de la nature indicielle de l’image. C’est la temporalité du  » ça a été  » que Barthes a repris à Benjamin. Il y a là quelque chose d’incontestable : pour que cette image soit, il a bien fallu dans le passé qu’un objet réfléchisse un rayon lumineux et que ce dernier impressionne une pellicule photo-sensible, cela malgré les caviardages possibles, malgré les codes que décrivent les sémiologues de l’image.
Mais il y a plus, quand la photo a été prise, le photographe d’un côté, mais surtout l’objet saisi de l’autre,  » savaient  » bien qu’ils travaillaient pour l’avenir. Ils n’ignoraient pas qu’ils s’adressaient à un inconnu à venir auquel ils demandaient une chose simple mais impérieuse : les nommer. Celui qui vous regarde dans une photo, nécessairement du passé, n’attend qu’une chose : que vous le renommiez !
Chaque photo sera pour Benjamin une utopie, non pas du passé, mais gîsant dans le passé, nous attendant. Il ira même plus loin en tentant d’analyser autrement que ne le fait la psychanalyse le sentiment d’étrange familiarité que l’on peut avoir dans une rue où l’on croit être déjà passé, le sentiment du déjà vu (Enfance berlinoise).
Pour Benjamin, ce n’est pas un effet inconscient, mais plutôt le sentiment en passant là qu’on y reviendra comme si à ce moment là on était photographié à notre insu et que cette trace photo-sensible attendra d’être développée. Ce que la psychanalyse analysera comme (pseudo) retour, Benjamin l’investira comme épreuve photographique en puissance. L’appareil psychique chez Benjamin est largement technologique, selon par exemple le modèle du Bloc magique de Freud, lequel a développé la description d’un appareil psychique (psychischer apparat) fort complexe, voire contradictoire (les différentes topiques, les conflits des instances psychiques, l’hétérochronie fondamentale de la psychanalyse (A. Green : Le Temps éclaté).

Si la sensibilité commune est toujours l’affaire d’un appareil, quel sensible, nécessairement impur, serait aujourd’hui l’objet de la peinture ?
Il faut en revenir à Benjamin qui fut le premier a posé la question d’une manière qui respecte la place de la technique. On pourrait montrer que si Benjamin décrit des hétérochronies (critique du présent donnant lieu au  » culte de la nouveauté « , sauvetage de l’archive à distinguer des fausses réconciliations de la Nature et de la technique dans l’ultramodernité, contemporanéité des moments insurrectionnels du passé et du présent, promesse d’un sauvetage de toutes les âmes dans l’apocatastase, etc. ), il en trouve en partie le modèle dans la psychanalyse de son temps.
S’il est davantage le penseur de la photographie que du cinéma, il n’en reste pas moins que mettant l’accent sur l’écriture de montage cinématographique, il met en exergue les caractéristiques de ce super-appareil qu’est le cinéma : celui qui synthètise tous les autres. Seule la phrase-image cinématographique (à distinguer d’un simple plan-séquence) peut être dite de synthèse. Ce qui implique que tous les  » anciens  » appareils projectifs ou non vont pouvoir être absorbés avec leur propre temporalité dans le flux cinématographique.
La narration (la fable) ne sera qu’un appareil (non projectif) parmi d’autres : sa circularité devra composée avec l’instantanéisme de chaque photogramme (C. Marker : La Jetée), elle rendra signifiantes les archives perspectivistes les plus objectives (P. Greenaway : Meurtre dans un jardin anglais), confirmant qu’on peut tout avoir enregistré d’un événement sans pouvoir lui donner sens, la fable sera à l’épreuve, comme dans la cure, de la recherche vrillante du trauma originaire (Resnais : Je t’aime, je t’aime), d’un imaginaire de camera obscura (Sokourov), d’un enchaînement muséal improbable (Godard : Histoire(s) de cinéma), de séquences vidéo qui enkystent un affect qui perdure selon la temporalité du maintenant décrite par Lyotard (le cinéma d’A. Egoyan ). La temporalité de la peinture sera donc à l’épreuve de ces temporalités-là, le cinéma constituant la texture poétique de notre époque. Quel sera alors son  » matériau  » sensible ?
Si l’appareil cinématographique synthétise les autres appareils, à la jointure, il laisse toute sa chance à l’hétérogène et donc à l’événement. Si l’on accepte de nommer l’unité de base d’un film la phrase-image (terme que je reprends à Rancière : Le Destin des images), parce que le son a autant d’importance que l’image dans un conflit permanent avec elle, alors chaque phrase-image sera comme un monde clos ayant sa propre spatialité et sa propre temporalité. L’analogie que propose Lyotard, qui ne s’intéresse dans Le Différend qu’à la phrase, c’est une technique de spectacle, la pyrotechnie : une fusée est lancée, s’élève, se divise, explose et éclabousse par la couleur tout un monde environnant. En écho, on peut entendre la scène de la plage dite de Nausicaa dans Ulysse de Joyce, redoublée par une érection-éjaculation sans reste. Cette scène se suffit à elle-même, comme toute œuvre d’art. Elle n’est le fragment d’aucune totalité perdue ou à venir, elle n’appartient pas à la problématique romantique du fragment. Sauf que, comme toute apparition, comme toute œuvre, elle ne dispose pas de son sens : elle ne fait pas image. La trace doit donc être inscrite.
Or comme Lyotard, réduisant la phrase à un énoncé proféré, refuse l’idée d’un support scripturaire de la trace qui serait déjà comme une aliénation de l’apparition (où il voit le risque de l’industrie culturelle), alors seule la consécution peut résoudre l’aporie : seule une autre phrase-image, en enchaînant sur la première, exposera l’univers que la première comportait. Ce faisant la seconde ignorera son propre univers : elle imposera donc l’enchaînement d’une troisième phrase-image, etc. La théorie de l’enchaînement rend parfaitement compte de la succession qui peu à peu se transforme en film. Un film en soi est à l’opposé de toute fable (et on comprend alors, a contrario, l’insistance de Rancière !).
Un film, c’est l’expérience toujours renouvelée de l’événement, et donc des temporalités les plus inouï;es, d’autant que, si l’enchaînement est nécessaire, il est totalement improbable comme chez L. Bunuel (Un chien andalou). Le film lyotardien a toujours déjà commencé et n’aura pas de fin : il n’y aura pas de tribunal de l’histoire, ni d’image-mouvement devenant fixe comme dans Shining de S. Kubrick où la dernière image, une photo des années 1930, donne la clef de l’énigme.
Ce qui réduit malgré tout l’improbabilité croissante de phrase-image en phrase-image, c’est qu’elles tombent sous l’attraction, non des pseudos genres cinématographiques, mais de figures d’enchaînement comme celles de la disparition (L’Avventura d’Antonioni), de l’enfermement (Lynch), de la métempsychose (Tropical malady), du rituel d’initiation (Klotz : La Déchirure), etc. La recherche sur les figures d’enchaînement est ouverte. Ces figures sont trans-genres cinématographiques.
Le cinéma et la psychanalyse sont deux appareils contemporains, laissant une place essentielle à l’hétérochronie. Si Freud a inventé/trouvé la forme de temporalité qui est au cœur de l’inscription de la trace : l’après-coup, l’élaboration de la seconde topique nous laisse devant l’énigme d’une temporalité mortifère, celle de la compulsion de répétition. On pourrait dire que l’insconscient ignorant le temps (et donc la contradiction et la négation) est dans le hors-temps : nos désirs nous accompagneront jusqu’à la mort sans rien savoir de l’usure du corps, du cerveau, de la sexualité…Nous aimerons toujours ceux que nous avons aimé et haï;rons les autres.
Le système Conscient de la première topique comme le Moi de la seconde sont comme les appareils décrits précédemment : du côté du contretemps de la suspension, du retard, de la médiation. Reste l’énigme à laquelle Freud se heurte à partir d’Au delà du principe de plaisir, énigme pressentie auparavant, celle d’une pulsion revendiquant le retour du Même. Emerge la figure d’un « anti-temps » (Green, 1961). D’une pulsion tueuse du temps, de la négation, de l’altérité.
On peut dire que les tentatives actuelles de renouvellement de la cure qui s’échinent sur des  » cas-limites  » comme le serait ce texte hallucinant de Blanqui L’éternité par les astres selon lequel tout ce qui a eu lieu sur une planète reviendra sur les autres, inéluctablement, ces tentatives donc doivent prendre aussi en considération que le temps des horloges pourrait bien apparaître comme émancipateur par rapport à une  » temporalité  » qui est celle de nos appareils numérisés contemporains (ordinateurs, vidéos, appareils photo, etc) : non plus le décompte de la révolution des astres, mais de simples compteurs capables de compter dans un sens comme dans l’autre, absolument indifférents à la flèche du temps.
Bref, même si la peinture redevenant elle-même ne veut avoir affaire qu’à un sensible  » pur « ,  » immédiat « ,  » brut « , il lui faudra tenir compte de toutes ces temporalités qui sont autant de déterminations de la sensibilité, ne serait-ce que pour les mettre entre-parenthèses…

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