Figure importante de la scène parisienne de l’après 68, Jean Le Gac s’est attaché, aux côtés d’Annette Messager, Daniel Boltanski et Paul-Armand Gette, à pratiquer un art puisant sa matière première dans l’expérience quotidienne de la vie. Une promenade à pied, des photographies de vacances sont autant d’occasions pour l’artiste de bricoler ses propositions plastiques.
Sans doute est-ce pour cela qu’il devait dès 1970 entrer en sympathie avec la figure de l’artiste amateur. Dans l’un de ses travaux intitulé Le Peintre, il se met en scène sous les traits d’un « peintre du dimanche ». L’œuvre combine une série de photographies en noir et blanc et en couleur où l’on voit toujours l’artiste assis derrière un chevalet, comme occupé à peindre sur le motif, au cœur de la nature.
La luminosité sensuelle des vues, ainsi que le choix des paysages (un lac, l’arrivée d’un train) évoquent d’emblée ce plaisir sensuel ou « rétinien » que condamnait Duchamp, et à sa suite l’art conceptuel.
Glissés dans le cadre, au bas des photographies, des textes dactylographiés accompagnent ces images. Leur relation à celles-ci est ambiguë, relevant tour à tour du commentaire ou du prolongement narratif, mais ne produisant jamais de sens en vue de les éclaircir ou de les subordonner.
D’un style un peu précieux et désuet, l’artiste y évoque l’attrait, lorsqu’il était enfant, pour ces hommes artistes à leurs heures perdues. Il confiait dans un entretien : « Ce ne sont pas les œuvres qui m’ont fascinées, c’est venu plus tard, mais le statut du peintre. On ne sait pas trop à quoi il sert, il réalise des choses mystérieuses ».
L’artiste s’empare ensuite de ce personnage de peintre vacant pour en faire un double fantasmé de lui-même, qu’il soumet à toutes sortes d’aventures extravagantes. La construction de l’œuvre et du sujet-artiste se déploie ainsi dans un même mouvement. Dans les Images bavardes, des photographies de vacance où l’artiste apparaît avec sa famille alimentent la construction de l’œuvre et inversement. Au bout du compte, cette prolifique saga brouille les étapes de construction de l’œuvre plutôt qu’elle ne les révèle.
Dans les années 1980, le format des photographies s’agrandit, gagne en qualités plastiques et le texte constitue un élément à part, encadré d’une façon identique aux images, comme si Le Gac précisait son dispositif, soulignant la relative indépendance que celles-ci conservent malgré leur interaction.
Cette relation, variant d’un travail à un autre, toujours intriguante, rend l’interprétation de l’ensemble des œuvres plus mouvante et complexe. Celle-ci se stratifie en plusieurs niveaux de lecture : l’image semble parfois raviver des souvenirs, susciter des rapprochements ou mettre en branle un art de la digression aux inflexions romanesques, ou le texte apporter une épaisseur supplémentaire à une photographie banale.
De grands dessins au pastel s’ajoutent par la suite à ce dispositif, soulignant cette polysémie de l’image. Au spectateur de participer activement à l’interprétation de l’œuvre qui ne saurait être résorbée dans une signification ultime. Ces dispositifs mixant des éléments de nature diverse s’apparentent en fait à une construction mentale toujours ouverte, en devenir, allant du plus proche vers le plus lointain, d’un événement factuel à sa reprise imaginaire ou fantasmée.
Un travail intitulé Ecran 7 mixant dessin au pastel, texte et photographie se scinde en deux parties. Sur le côté droit, le pastel représente une femme en tenue de safari dans un décor de pyramides égyptiennes. La photographie d’un écran de projection en coton dont on voit les plis recouvre intégralement la partie gauche de l’image. Un court récit est écrit à la main en bas du dessin au pastel :
« Dans une salle des ventes, il avait porté son enchère sur un coffret complet Pathé-Baby comprenant un ancien projecteur de cinéma, un mode d’emploi, du matériel d’entretien (…) Il avait été ému en dépliant un écran de cotonnade(…) le voile de Véronique semblait attendre le peintre depuis longtemps. »
La photo de l’écran déplié se lit alors comme la métaphore de l’espace libre, encore non occupé de la fiction où toutes les projections de soi sont possibles.
La source iconographique de ces grands dessins est populaire, provenant d’un art bien souvent qualifié de mineur mais que l’artiste, revenant aux figures qui ont peuplé son imaginaire enfantin, charge d’un investissement affectif : les personnages animant ces grandes compositions au pastel sont tous des héros stéréotypés de l’enfance, stylisés à la manière des illustrations de romans d’aventure des années 1940.
Un aviateur dans sa cabine de pilotage, un explorateur s’accordant une trêve au cœur d’un hamac, dans un décor exotique peuplé de tigres et de serpents…
On remarque le goût du peintre pour les transports, au sens propre comme figuré, transports par voie d’air ou de mer, transports de la rêverie ou d’un imaginaire construisant des ponts inédits entre le réel et la fiction. Ente extrême banalisation de l’art et subtile poétisation de la vie.
Jean Le Gac
— Le Médicament et le peintre, 1972. Photo-texte. 73 x 103 cm et 40 x 50 cm.
— Le Décor, 1972. Photo-texte. 30 x 80 cm.
— Le Peintre, 1973. Photo-texte. 30 x 40 cm (chaque).
— Images bavardes, 1973. Photo, texte dactylographié. 30 x 40 cm (chaque).
— Ridi-Ville, 1974. Photo-texte. 50 x 30 cm.
— Le Peintre de l’Ile de Skye, 1977. Photo-texte. 600 x 60 cm (chaque).
— Legacstudio I, 1991. 88 x 127 cm.
— Legacstudio II, 1991-2004. 127 x 164 cm.
— Legacstudio IV, 1991-2004. Photo et texte dactylographié. 60 x 70 cm (chaque).
— Écran 7, 2001. Pastel et texte manuscrit sur carton, photo jet d’encre.
— Écran 8, 2001. Pastel et texte manuscrit sur carton, photo jet d’encre montée sur PVC. Diptyque, 159 x 238 cm.
— Le Fortin de la soif (ou le pull-over mité), 2003. Pastel et texte manuscrit sur carton, croquis original sur papier millimétré, pull-over tricoté, fascicule. Diptyque, 80 x 120 cm.
— Le Voyage en train ou bande de… , 2003. Pastel et texte manuscrit sur contreplaqué, photo jet d’encre. montée sur le support bois. 200 x 100 cm.
— Dufy aux cougourdons, 2003. Pastel, texte et photo. 161 x 186 cm.
— La nuit transfigurée, 2003. Pastel et photo, 159 x 159 cm
— La Fontaine-Basse, 2003. Pastel et photo, 119 x 213 cm.
— Le Mannequin de Musée, 2003. Pastel et photo. 120 x 140 cm.
— Sans titre , 2004. Aquarelle sur papier. 89 x 69,5 cm.
— Legacstudio IV, 2004. 81 x 65 cm.