INTERVIEWS

Jean-Charles de Castelbajac

Le couturier fait son coming out. Depuis toujours il est un artiste honteux. Son exposition «The Tyrrany of Beauty» à la Bank, pour la rentrée, remet les pendules à l’heure. Il en profite pour revenir sur son parcours d’enfant terrible de la mode. En paix avec lui-même, il assume sa triple culture: aristo, catho et rock. C’est au début de l’été qu’il a répondu à nos questions. Ses ambitions d’homme libre? Relever des défis hallucinants.

Pierre Douaire. Je suis arrivé en vélib et je viens de traverser le Pont Neuf.
Jean-Charles de Castelbajac. Elle est partie. Elle vient de décoller. Elle est dans le cosmos, dans l’immatériel.

Parlez-nous de cette sculpture.

Jean-Charles de Castelbajac. Sur le pont Neuf, j’ai encadré de néons la sculpture équestre d’Henri IV. Cette intervention prolonge mes travaux antérieurs comme ceux de la pyramide du Louvre ou du Drugstore des Champs-Elysées. Je voulais intervenir pour l’anniversaire de l’assassinat du roi de Navarre. J’ai proposé mon idée au Ministère de la culture et elle a été retenue. C’est assez étrange quand on y pense. C’est la première fois que la République commémore le décès d’un roi de France! C’est assez surréaliste. Tout autant que la rencontre improbable entre les deux familles descendantes de Louis XIV. Le soir du vernissage, les Bourbon et les Orléans se sont salués pour la première fois.

Intervenir sur la statue d’Henri IV, c’est travailler sur la mémoire?

Jean-Charles de Castelbajac. Je voulais qu’une jeune génération soit capable de s’approprier un moment de son histoire. Il fallait trouver le moyen de le cristalliser. Pour que cela fonctionne il fallait dématérialiser la statue. Il était important de l’amener ailleurs. Ce n’est pas un hasard si j’ai choisi Astronomy Domine pour titre. Ce morceau des Pink Floyd, évoque une balade dans le cosmos et l’espace.

Votre installation lumineuse oscille entre le pop et le kitsch.
Jean-Charles de Castelbajac. Le sabre en néon évite cet écueil car il produit un accident. J’ai hésité à le mettre. Mais avec lui, une micro structure sort du cadre et produit du hasard. Ce petit interstice maintient une distance nécessaire. L’armature de néons qui encadre la sculpture, a pour fonction de mettre à distance. Je voulais la placer dans un cadre. Comme le pratiquait Bacon avec ses propres tableaux. Il ajoutait une paroi vitrée à ses compositions. Je me suis inspiré d’Innocent X. Avec ce système de vitre, l’ensemble devient prodigieux chez lui. A mon tour j’ai planéifié l’ensemble. Je voulais que la sculpture devienne un tableau.

Votre mise en lumière est-elle une mise en scène?
Jean-Charles de Castelbajac. L’inauguration était une dramaturgie. Cette dimension est obsédante et omniprésente chez moi. Que ce soit dans les défilés ou les projets in situ. Le 14 mai 2009, l’ouverture a commencé par des roulements de tambour. Ensuite il y a eu un feu d’artifices. Les explosions dans le ciel évoquaient la tension d’un champ de bataille. Ensuite cinquante deux coups de canons ont tonné. Ils rappelaient la victoire des artilleurs français à Arques-la-Bataille, remportée grâce à leur déluge de feu. Ce spectacle pyrotechnique permettait de revivre le drame. Il renouait avec l’Histoire. L’émotion permettait de rappeler une époque. Le public frissonnait. Il accueillait avec peur toute cette beauté. Quand les bouches à feu ont tiré, tout le monde a été bouleversé.

Ce qui vous obsède, c’est la dramaturgie…
Jean-Charles de Castelbajac. Avec Born to be Wilde (2009), j’ai pu intervenir dans la chambre où Oscar Wilde est mort. Le Parcours Saint-Germain m’a permis d’inventer une dramaturgie à la hauteur du personnage. Un univers de terreur régnait dans toute la pièce. La température avait été baissée. Quatre cent lys étaient écrasés au sol. Cette odeur était oppressante autant que la musique issue des expérimentations du Bauhaus. Une soubrette en tenue d’époque vous accueillait. Le décor portait en lui un bouleversement palpable. Le nez était fortement sollicité. La mécanique proustienne pouvait opérer. Dans mes défilés, j’avais déjà eu l’occasion de mélanger les genres, d’utiliser des odeurs. Même si les deux exercices sont fort différents, ils jouent sur le même registre. A chaque fois, c’est excessivement émouvant.

Vous préférez intervenir à l’intérieur ou à l’extérieur?
Jean-Charles de Castelbajac. J’aime les deux. La dimension intime me passionne comme Gallierock (2007) et Born to be Wilde l’attestent. Dans les deux cas, un théâtre sublime se met en place et provoque des sentiments troublants. Les fantômes de l’histoire surgissent et vous hantent. L’intime m’attire, mais je ne peux pas me passer du cadre urbain non plus. La ville est un théâtre magnifique. Je ne peux pas m’empêcher, dans mon subconscient, de la modifier. Je regarde la ville comme une succession chromatique. Quand je traverse la rue de Rivoli ou quand je vois les bateaux-mouches sur la Seine, je regarde tout cela comme un flux de couleurs. Les mats des bateaux sur les quais de l’Institut évoquent instantanément, pour moi, des néons. En France, on se trompe souvent d’objectif, quand on agit à l’extérieur. Pour travailler sur ce tissu, il ne faut pas lui substituer une nouvelle architecture, mais mettre en place une nouvelle scénographie.

Depuis quand «scénographiez»-vous la ville?

Jean-Charles de Castelbajac. En 1997, ma rencontre avec Monseigneur Lustiger pour les JMJ (Journées mondiales de la jeunesse) a changé ma vie. Sa demande était simple. Il fallait mettre en scène la venue du pape en France. «Spectaculariser» l’événement. Orchestrer la procession d’un million de jeunes catholiques. J’ai dit oui tout de suite. Tout est parti d’un simple dessin. C’était un arc-en-ciel. Il a été le point de départ de toute cette aventure. Dans la Bible, après le Déluge, il y a un arc-en-ciel. Il symbolise le lien entre les hommes et Dieu. Jean Paul II a porté cette chasuble multicolore, ce qui a provoqué une polémique. Tout le monde a pris ce châle pour un étendard homo, pour le drapeau gay! Mon plus beau titre de gloire a été la une de Libé qui titrait «La Catho Pride». Cette simple idée, ce petit bout de feuille s’est transformé en manifestation géante. Je n’en revenais pas que mon croquis, publié dans Le Monde quatre mois plus tôt, soit responsable d’un tel phénomène. Tous les participants arboraient un t-shirt coloré. Le défilé alliait la forme et le fond, il prenait tout son sens. C’est le pape qui l’a vu le premier. Voyant ce cortège hors du commun, Jean-Paul II m’a glissé à l’oreille, cette fulgurance: «Jeune homme – ça, c’était déjà pas mal – vous avez utilisé la couleur comme ciment de la foi».

C’est après les JMJ de 1997 que vous vous êtes senti prêt à affronter la vie d’artiste?
Jean-Charles de Castelbajac. Après les JMJ, je n’ai plus jamais travaillé de la même manière. Jusque-là, j’étais schizophrène, écartelé entre mon travail de couturier et mes envies artistiques. Rien n’était clair. J’ambitionnais, à travers ma mode, d’être artiste, mais sans l’avouer. Les manteaux nounours qui m’avaient fait connaître ainsi que les robes-tableaux et les accumulations étaient de l’artisanat. Je n’avais pas compris que la mode pouvait être un médium. J’ai saisi que je n’étais pas un artisan. J’étais habité par une force pop et démocratique. J’avais envie que mon travail touche le plus grand nombre. C’est ainsi qu’il atteignait toute sa dimension. A dater de ce jour, je n’ai plus travaillé qu’avec des concepts. J’ai appliqué à la lettre la phrase de Kant qui dit que «toute intuition sans concept n’aboutit pas». Ma mode devenait un outil de communication, un moyen de me raconter. L’époque m’était favorable. L’arrivée d’internet décloisonnait le système. Les étiquettes n’avaient plus cours. Le monde de l’art s’ouvrait à des non initiés comme moi.

Vous êtes réconcilié avec vous-même?
Jean-Charles de Castelbajac. Je suis en paix avec moi-même. Je suis autant à l’aise dans mes collections qu’avec mes installations. C’est un bon moment. Je suis libéré et je jette toute mon énergie dans des nouveaux projets. Plus ils sont fous et irréalisables, plus je suis enthousiaste. Je croyais naïvement qu’il fallait se mettre en danger physiquement pour être un artiste. J’avais eu l’exemple de Basquiat et de Malaval sous les yeux. Ils mettaient leur vie en péril. Maintenant, ce sont mes projets qui supportent ces risques. Les défis à relever sont hallucinants.

Il faut attendre dix ans, après ce déclic, pour devenir artiste.
Jean-Charles de Castelbajac. Propaganda, en 2006, a été le premier étage de la fusée. C’était une rétrospective. Elle retraçait ma carrière au Victoria and Albert Museum de Londres. Mais c’est l’année d’après que tout a commencé. J’ai inventé entièrement, toute la scénographie de Gallierock. J’en étais l’unique curateur. L’exposition était un parcours initiatique qui permettait de me raconter. J’avais la possibilité d’expliquer d’où je venais. J’ai pu explorer ma fascination pour les traces et les stigmates de l’Histoire. Un cabinet de curiosités entassait tous les souvenirs de notre mémoire collective. Il donnait la parole à ceux qui avaient souffert. Epaulé par un conservateur, spécialisé dans les costumes d’époque, leur présence et leur émotion étaient palpables. La bande-son renforçait cette peur. Dans la salle, on trouvait l’armure de Jeanne d’Arc, les vêtements des martyrs de la Révolution, ceux de Louis XVII enfermé à la prison du Temple, la robe de chambre de Napoléon qu’il portait à Saint-Hélène, auréolée de sueur, souillée et pourrie aux extrémités, la cocarde de Robespierre, une mèche de cheveu de Marie-Antoinette… Tous ces fantômes étaient là. Ils m’habitent. Ils traversent ma vie et encore aujourd’hui, je ne sais pas très bien quel rôle ils jouent?
C’est à cette occasion que la dramaturgie des champs de Bataille s’est révélée et imposée. Réminiscences. Souvent, je suis allé dormir avec des potes, comme Jean-François Bizot, sur ces cimetières oubliées de tous. Alors qu’aux Etats-Unis, à Little Big Horn, l’emplacement de chaque personne tuée est scrupuleusement mentionné. En France, les batailles historiques ne sont pas référencées.

A l’exception de celles du XXe siècle.
Jean-Charles de Castelbajac. Effectivement, mais très sincèrement, trouver l’emplacement de la bataille d’Azincourt est presque impossible. Les habitants sur place arrivent à peine à vous renseigner. Prochainement, j’adorerais utiliser ces lieux pour les rendre exemplaires. Ils serviraient à rendre l’Histoire spectaculaire. Mais je ne veux pas faire un son et lumière.

Pas comme au Puy du Fou.
Jean-Charles de Castelbajac. Non, pas comme au Puy du Fou.

A la manière d’un Ange Leccia ou d’un Cai Guo-Qiang.
Jean-Charles de Castelbajac. Ou de Cyprien Gaillard dont je partage la filiation émotionnelle.

Ça se voit que vous êtes aristocratique, catholique et rock. Vous assumez?

Jean-Charles de Castelbajac. C’est moi. Je suis dans cette dualité. Votre question est juste. J’ai longtemps été schizophrène. Il y avait d’où je venais et où j’allais. Aujourd’hui, tout s’est mis en place. Une vraie harmonie va dans ce sens. Ce qui m’intéresse dans cette dimension aristocratique, c’est d’être différent des autres. C’est essayer de me mettre en danger pour montrer une autre manière de penser. Ce qui m’interpelle, c’est de montrer un chemin.

Votre parcours dans la mode a été votre école d’art?
Jean-Charles de Castelbajac. C’est drôle ce que vous dîtes. [Songeur] Effectivement, la mode a vraiment été mon école d’art. Ce fut mon école d’appropriation et de «détourne». C’est assez troublant. Je n’ai pas de formation artistique. J’utilise dans mon art, les connaissances techniques que j’ai acquises durant toute ma carrière professionnelle. La mode m’a permis d’atteindre cette connaissance des matériaux. J’ai été à une école technique extraordinaire.

Le détournement est une de vos marques de fabrique.

Jean-Charles de Castelbajac. J’ai toujours été adepte de l’appropriation et du détournement. Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours été dans cette récupération. Cette façon de procéder est inscrite dans mes gênes. Je descends d’une famille très noble, mais aussi très pauvre depuis la génération de mon père, car il a tout perdu. Je m’inventais des jouets ou les cadeaux que je ne pouvais pas acheter à ma mère. Je compensais l’indigence matérielle par la rêverie. L’imaginaire permettait de s’approprier un autre monde.
C’est bien ensuite qu’on m’a appris qu’un détournement était politique et polémique. C’est Malcom McLaren qui m’en a fait la confidence. Il m’a expliqué, en 1973, que ce que je faisais s’appelait des «détournements» et que des gens comme les Situationnistes, les pratiquaient et les théorisaient depuis plusieurs années. C’est grâce à lui que j’ai compris que des vêtements pouvaient être des manifestes. Chez lui, cet aspect était prémédité alors que chez moi, il datait de l’enfance.

Vous avez détourné la mode en utilisant des étoffes indignes.

Jean-Charles de Castelbajac. Mon travail de couturier a commencé à 17 ans. Fraîchement sorti de la pension des frères de Bétharram – avec pertes et fracas – j’ai entamé un processus créatif en forme de thérapie. A partir de 1969, j’ai méthodiquement détourné toutes les matières. Avant de m’attaquer aux serpillères, aux bandes velpeau, j’ai jeté mon énergie dans mes couvertures de pensionnat. C’est dans cette matière, liée à l’enfance, aux journées passées à s’ennuyer, que j’ai taillé mes premières armes. Le compagnon de mes nuits m’a servi à concevoir mes premiers manteaux. De 1972 à 1973, j’ai inventorié toutes les matières indignes et pauvres. L’intéressant était d’arriver à sublimer le quotidien. La chose la plus banale possédait également une dimension onirique. Ça me passionnait. Alors qu’un couturier propose des solutions, donne des réponses, je préférais poser des questions. Ces chiffons récupérés se transformaient en manifeste.
Je ne me suis pas senti à l’aise dans la haute couture. Mon incursion n’a duré qu’une saison. Par contre, ce passage m’a permis de comprendre que j’avais le don de sublimer des choses quotidiennes, banales, humbles et de les amener dans des dimensions oniriques. C’est ça qui me passionne encore maintenant. La pension m’a éduqué dans ce sens… je gardais les bouchons de liège, les élastiques…

Vous avez utilisé des étoffes qui disparaissaient.

Jean-Charles de Castelbajac. J’œuvrais pour une anti-mode. Il fallait sauver de la disparition et de l’oubli ces matières d’un autre âge. Une archéologie se mettait en place. La presque totalité de ces matières n’existent plus. Je parcourais les dernières usines pour aller récupérer des chutes. Les ouvriers étaient incrédules, car je demandais des métrages hors normes me permettant de mieux couper les robes. Les couverturiers étaient une quarantaine dans la ville, il doit en rester un ou deux, pas plus aujourd’hui. Il y a encore Brun de Vian-Tiran. Récemment, j’ai fait appel à eux pour une collection et on m’a ressorti, hasard de la vie, une couverture que j’avais utilisé il y a quarante ans. Je l’aimais beaucoup car elle était traitée anti-allergies, contre l’asthme, entièrement naturelle. Très belle.
Archéologie donc, mais aussi découverte et création de matières disparues. Un voyage à Oslo nous a permis de fabriquer le plus vieux tissu du monde à base de lichen et de sciure de bois.

Ces étoffes grossières avaient-elles la fonction d’un cilice? Devaient-elles incommoder la cliente?
Jean-Charles de Castelbajac. Ces matières sont à l’opposé de toute sensualité. On est dans la singularité, l’unicité, dans la particularité. Le rôle d’un couturier consiste à rendre agréable les tissus. De mon côté, j’ai même conçu un vêtement avec des épines. Les matières sont humbles, elles peuvent être dérangeantes mais les serpillères étaient doublées de soie. Je glissais sous les coutures des lettres d’amour, comme on jette des bouteilles à la mer. Non, ces habits n’étaient pas faits pour les repentants.

Dans la statue d’Henri IV, il y a aussi des documents qui y dorment.
Jean-Charles de Castelbajac. Exactement, j’y avais pensé en travaillant sur Astronomy Domine.

Pourquoi une forme aussi simple?
Jean-Charles de Castelbajac. En visitant Notre Dame de Paris, en me rendant à la salle des trésors, l’habit de Saint-Louis a produit une impression aussi forte que durable sur moi. Il est très simple. Sa forme est une croix. Je n’avais pas de connaissance dans la mode et je ne voulais pas en avoir. J’ai travaillé pendant dix ans avec cet unique patron.

Cette croix en forme de T est-elle christique?
Jean-Charles de Castelbajac. Oui, c’est une figure christique. La croix est la première figure géométrique qui m’ait totalement fasciné. J’y étais confronté tous les jours à la messe, quand j’allais à l’école. Elle figure aussi sur les armes de ma famille. Notre devise est «Le lys fleuri sur la croix».

Cette croix évoque les bras ouverts du prêtre ou la sinistre potence de Jésus?
Jean-Charles de Castelbajac. Jusqu’à récemment, la croix a toujours été une figure menaçante, une ombre pour moi. Elle représentait une autorité. Mais en 1997, pour les JMJ, tout a changé. J’ai dessiné une croix qui laissait passer la lumière. Sa symbolique s’est transformée.

Je pensais qu’elle représentait l’eucharistie, l’ouverture.

Jean-Charles de Castelbajac. Maintenant, c’est autre chose. Il y a cette ouverture qui s’est faite en moi. Mais cela ne fait que dix ans que je suis dans ce lâché prise.

Aviez-vous des liens avec les milieux artistiques à vos débuts?
Jean-Charles de Castelbajac. Très bizarrement, je passe les dix premières années de ma vie professionnelle à faire de l’Arte Povera sans savoir que ça existe. Très très vite, Mario Merz se rapproche de moi car il adorait mon utilisation des serpillères dans mes collections. Dans les années 1980, le Pop Art est venu s’inviter dans mes collections. Warhol posait pour Toscani. Je me suis lancé dans les accumulations sans connaître Arman et là j’étais en plein Nouveau réalisme. C’est lui qui est venu me sollicité. Il m’a envoyé des dessins de jupes où il signait Arman et Jean-Charles… [Songeur] Il voulait que l’on collabore ensemble. Pour mon anniversaire, il m’a envoyé quarante cinq pinceaux accumulés. Mais les deux êtres les plus chers à mon cœur et surtout les plus proches, étaient Robert Malaval et Roland Topor, le parrain de mon fils.
C’est en raccompagnant le premier que la figure de l’artiste solitaire, entièrement dévoué à son art m’est apparue. Je ne savais pas qu’il était peintre. J’avais une notion abstraite de la peinture. Dans ma famille, du côté de mon père, on collectionnait les impressionnistes. J’avais une idée utopique du rapport collectionneur/artiste. Un soir, en allant chez lui, rue pont Philippe, je découvris qu’il habitait dans une minuscule loge de gardien. Sa baignoire était maculée de peinture, elle lui servait d’atelier. Je m’attendais à découvrir une cathédrale et je me retrouvais dans un cinq mètres carrés. Je vois cet artiste sublime, complètement rock’n’roll – il venait de terminer des sérigraphies pour les Rollings Stone – vivre dans un univers presque misérable. Ce dénouement m’a profondément troublé et continue à m’habiter encore aujourd’hui.

Mais en remontant mes souvenirs, le premier choc correspond à ma rencontre en 1967 avec Raoul Hausmann. J’avais quinze ans et rue des émailleurs à Limoges, près de la cathédrale, un antiquaire avait remisé ses commodes Louis XV, pour permettre au maître dadaïste d’exposer plusieurs collages sur carton ondulé, ainsi qu’une série de photos. Le bordel qui régnait entre les bergères du XVIIIe, les vaisselières Henri II, les chenets, les plaques de fonte aux armes du roi de France et les œuvres d’Haussmann, a été ma première vision de l’art contemporain. Ce chaos m’a semblé merveilleux. En entrant avec ma mère – elle avait l’habitude d’acheter ses meubles dans cette boutique – j’ai vu un vieux monsieur en robe de chambre avec un béret, une chandelle et une cloche qui déclamait des onomatopées en rafale. Je suis resté choqué, totalement stupéfait. Ce qui m’avait intrigué avant ça, c’était de le voir toujours accompagné de deux femmes, la sienne et son infirmière. Dans la ville, c’était un vrai scandale. Dans cette galerie improvisée, j’ai été frappé par ses collages. J’en faisais déjà chez moi. Mes premiers achats furent un collage et deux rayogrammes. Un des clichés avait été pris sur la Vienne, une femme semblait y tomber. Je viens de m’en inspirer dernièrement pour une tapisserie, vous pouvez en voir le croquis derrière vous [il me désigne sur le mur l’impression couleur].

C’est confondant, vos deux initiations à l’art sont deux visions spectrales, Malaval et Haussmann.

Jean-Charles de Castelbajac. A chaque fois, la scène se passe dans un dénuement qui est transcendé. Chez ces deux êtres qui m’ont servi de modèle, le dénuement n’était pas une fatalité mais une énergie.

Vous êtes également coloriste.
Jean-Charles de Castelbajac. La couleur coule dans mon sang, c’est génétique. Encore une fois l’expérience de la couleur provient de mon contact avec la messe. Durant la cérémonie, je ne regardais pas l’autel mais les vitraux. Ce fut ma première expérience Pop. Je les regardais chaque jour. J’étais fasciné. Ensuite, en vivant en Normandie avec son temps humide, j’ai pu voir de nombreux arc-en-ciel. Ils m’ont permis d’inventorier toutes les nuances possibles. L’inventaire de mes couleurs primaires provient de là. C’est mon capital.

Vous aimiez la clarté des vitraux ou leur reflet sur le dallage de l’église?
Jean-Charles de Castelbajac. Je ne regardais pas le sol. En plus, les rayons sur le dallage sont blancs. [Puis réfléchissant un peu]. Mais peut-être que vous avez raison. Je me rappelle que j’avais conçu un habit multicolore pour l’aumônier de la prison de Poissy, en 1992. Sa robe était taillée comme un vitrail. Le but était que le soleil le frappe et reproduise la lumière par terre. Très vite il a été surnommé le prêtre «perroquet». Cela fonctionnait très bien. Les prisonniers venaient le voir, ils assistaient aux offices. C’est par ce succès que monseigneur Lustiger m’a demandé d’orchestrer les JMG bizarrement.

Dès le début, vous détournez les matières et utilisez la couleur. L’envie de collaborer avec d’autres est-elle aussi précoce?
Jean-Charles de Castelbajac. Immédiatement, je me suis lancé dans les collaborations. Cela participe au même esprit. Dès que j’ai eu les rênes de l’entreprise familiale, à dix huit ans, en tant que directeur artistique, j’ai été le premier à travailler avec Kenzo ou Chantal Thomass. Je voulais constituer une équipe. Pour mettre fin aux invitations sinistres, j’ai demandé au dessinateur de Blueberry, Robert Gigé, de les concevoir. Cindy Sherman a travaillé à une de mes campagnes de pub qui n’a jamais vu le jour, mais dont deux clichés ont survécu. Robert Mapplethorpe a aussi été de l’aventure. Si je faisais une liste de mes collaborations entre les vivants et les morts, ce serait extraordinaire. A chaque fois, il y avait une espèce de curiosité. Je me demandais toujours ce que cela pouvait donner. Aujourd’hui, mes collaborations les plus épanouissantes se passent avec des musiciens et des chanteurs, comme récemment avec Lady Gaga. Ça j’adore. Je dois faire la pochette du disque posthume de Jacno. Tout ça me plaît beaucoup.

Pourquoi mettre des tableaux sur des robes?

Jean-Charles de Castelbajac. Utiliser des tableaux sur des robes participe à la même démarche. Mes robes sont mes écrans. J’ai commencé, au début des années 1970, à prendre la couverture des Mots de Sartre pour en faire un motif. J’ai beaucoup aimé. Les robes des années 1980 ont été faites avec le concours de Ben, d’Annette Messager, de Combas, de Di Rosa, de Garouste, de Rémi Blanchard… J’avais repris pour l’occasion la forme christique de mes premiers vêtements. Un paupérisme des tissus se conjuguait à l’austérité de la coupe. L’apport des artistes permettait de sublimer l’ensemble.

Le milieu artistique voyait-il cela d’un bon œil?

Jean-Charles de Castelbajac. Les artistes réagissaient très bien, mais cette initiative n’était pas en odeur de sainteté chez les galeristes. A part Yvon Lambert, qui a toujours encouragé ce type de collaboration, tous ses autres confrères étaient hostiles à ce genre de mariage contre nature. En 1982, lors du défilé de ces robes à la Fiac, tout le monde se demandait s’il s’agissait bien d’art! La mode inspirait beaucoup de méfiance. Le milieu critiquait mais en même temps Assouline lançait le magazine L’Art et la Mode. Un vrai phénomène durable se mettait en place.

Pourtant, il y a eu des précédents, je pense à la robe Mondrian (1966) d’Yves Saint-Laurent.
Jean-Charles de Castelbajac. Ce n’est pas la même chose car Yves Saint-Laurent rendait un hommage à Mondrian. Il a fait des choses très bien, mais ce n’était pas une collaboration, pour le coup cette pièce était une vraie appropriation. Le vrai précédent concerne la robe Homard (1937), fruit de la collaboration entre Dali et Elsa Schiaparelli. C’est elle la vraie pionnière en la matière.

Pourquoi faire des robes tableaux était-il mal perçu ? Jenny Holzer ou Keith Haring se servaient, à la même époque, de t-shirts comme support.
Jean-Charles de Castelbajac. Le problème c’était que la démarche venait d’un créateur de mode. Elle n’était pas perçue de la même manière que si elle émanait d’un artiste.

Parlez-nous de votre première exposition en tant qu’artiste en France, «The Tyranny of beauty», qui commencera en septembre.
Jean-Charles de Castelbajac. L’exposition à la galerie La Bank a été conçue comme une installation, avec une multitude de pièces. Le thème central tourne autour du questionnement de la beauté. C’est la suite logique du travail que je développe entre la collusion de tableaux historiques, comme ceux de madame Vigée-Lebrun, avec des emblèmes et des logos contemporains. Je me suis approprié tous ces tableaux. Je les ai transportés dans notre univers dominé par les marques de luxe et de cosmétiques. La confrontation entre les portraits historiques, les tapisseries anciennes et les normes cosmétiques d’aujourd’hui provoque des déflagrations inimaginables.

Cela vous permet de parler de la dictature de la mode.
Jean-Charles de Castelbajac. J’ai modélisé un visage type, à travers les diktats d’aujourd’hui. J’ai demandé à des chirurgiens esthétiques de modifier un buste de Marie-Antoinette, en fonction de la demande des clientes du XXIe siècle. Les résultats sont troublants. Les yeux sont un peu plus tirés, les lèvres sont un peu plus grosses, la poitrine est plus volumineuse. La bouche peut-être trois ou quatre fois plus grande que la normale. Les pommettes sont gonflées. Les yeux deviennent bridés. Des implants sont visibles. L’ensemble sera coiffé par des perruques de Lady Gaga. Son coiffeur a gentiment accepté de nous aider. A travers cette mutation, le portrait de la femme d’aujourd’hui sera peut-être visible ? Je suis très impatient d’en voir le résultat. Je suis très excité de découvrir la totalité de la série, car les premiers essais sont extrêmement prometteurs.

L’odeur sera au rendez-vous?
Jean-Charles de Castelbajac. La dimension olfactive n’a pas été oubliée. Il régnera une odeur de salon de beauté ectoplasmique. La dualité de la femme du XVIIIe et du XXIème siècle frappera le visiteur. La première est liée surtout à l’odeur de la rose, on le sait d’après ce que portait Marie-Antoinette, et la seconde est plus dans un mélange chimique.

C’est une exposition chorale avec beaucoup de pistes: des tableaux logos, des bustes au botox, un odorama, des tapisseries Disney. C’est beaucoup?
Jean-Charles de Castelbajac. A un moment je me suis arrêté. Je voulais expérimenter d’autres techniques, aller vers d’autres explorations. Plus j’avançais, plus j’avais envie de continuer. Etrangement, cela rejoignait la dimension expérimentale que je peux éprouver en tant que designer, que couturier, avec le trouble en plus. Les tapisseries sont vraiment très très belles. J’attends avec impatience de voir tous les éléments ensembles.

Pour les tapisseries, vous reprenez les inclusions que vous aviez réalisées pour vos vêtements?
Jean-Charles de Castelbajac. Si Marie-Antoinette, la plus belle femme du monde, se retrouve affublée de botox, je voulais également évoquer le syndrome de Blanche neige. Ce mythe parle de la pérennité de la beauté, il évoque son immortalité. Nous avons reproduit, avec un tapissier des Flandres, des scènes – surtout du XVIIe – avec des inclusions de personnages de Walt Disney. J’exploite les mêmes procédés que ceux qui me servent à concevoir une robe Bambi. Les sérigraphies de tapisseries Louis XIII accueillent, elles aussi, le même personnage. Les deux systèmes fabriquent des sentiments.

Concrètement comment concevez-vous vos tapisseries?
Jean-Charles de Castelbajac. Je ne fais pas de croquis à la main, je fais tout sur photoshop. Les croquis apparaissent à la fin. Ils me servent à indiquer l’emplacement des pièces à exposer. Ils me permettent de scénographier le lieu. Sinon toute la dimension initiatique de l’exposition, passe par l’ordinateur. Les plans sont ensuite donnés à des producteurs. Normalement, il était prévu de partir directement d’une tapisserie d’Aubusson. Mais le timing était trop juste. Car pour violer une pièce de cette époque, il faut tout de même prendre certaines précautions. Il fallait démonter et remonter séparément les éléments. On quittait le métier de la filature classique pour entrer dans celui de la marqueterie iconoclaste. Mais je garde l’idée en tête. Mais ce contre-temps m’a permis de découvrir les tapisseries industrielles. Elles sont très abordables financièrement. Même en les produisant à trois ou cinq exemplaires, le prix n’est pas prohibitif. J’aime l’idée que mes œuvres puissent être accessibles. Par contre, les peintures à l’huile réalisées par des copistes chinois, nécessitent deux à trois mois de patience, seront évidemment plus chères.

Délocaliser votre production artistique en Chine, c’est une manière d’aborder le thème de la globalisation?
Jean-Charles de Castelbajac. C’est définitivement lié à la globalisation. Ce qui est fou, c’est les croisements qui existent entre mon histoire professionnelle et cette exposition. Elle parle de la faculté qu’ont tous les peuples à s’approprier des images venues d’ailleurs. J’adore penser que des images peuvent être la genèse d’une autre beauté. C’est très troublant qu’un objet passe du statut de copie à celui d’œuvre d’art. C’est très étrange. C’est une clef pour comprendre notre époque. On est dans un territoire qui est très lié à ce siècle. Il y a une frontière entre l’art et le marketing, le monde de l’argent et le commerce. Je suis dans une position ambiguë, car en tant que créateur, j’ai moi-même une marque.

Votre marque imite également le logo du groupe de hard rock ACDC, Jean-Charles de Castelbajac, devient JCDC. Vous êtes passé de l’appropriation des matières à celle des marques?
Jean-Charles de Castelbajac. Tout à fait. C’est le hasard qui m’a guidé vers cet acronyme. La force symbolique est renforcée par le noir et blanc. L’énergie du rock’n’roll est présente. En outre, j’ai ajouté l’épée à ce logo. Tout à commencé quand les jeunes qui travaillaient avec moi m’appelait par ce diminutif. Je ne m’étais jamais aperçu que mes initiales comportaient ces quatre lettres.

Pourquoi mélanger des marques, des logos, des personnages de dessin animé?

Jean-Charles de Castelbajac. Je pense être définitivement lié à ça. J’ai cette capacité d’utiliser les images, cette faculté de me les approprier. On peut le voir d’une manière cynique ou réjouissante, c’est au choix. J’adore les images. Mettre des images génère une autre beauté. Des artistes comme Warhol sont présents à mon esprit. L’appropriation de grands classiques ne me pose pas de problème. J’ai commencé à inclure Bambi dans des verdures Louis XIII pour des robes en tapisserie. Vous voyez, en quarante ans, je suis passé des serpillères aux broderies. C’est évident que je ne m’interdis rien. Je suis libre. Ces allers retours sont incessants. Un travail nourrit l’autre. Cette dimension cartoonesque est sous jacente chez moi. Cette exposition est très importante pour moi, car c’est celle d’un homme libre. Le couturier et l’artiste sont réconciliés. Je me dis que je peux exploiter toute la richesse que j’ai en moi.

Pourquoi tous les artistes, Delvoye, Murakami, Zevs, travaillent-ils sur le logo?

Jean-Charles de Castelbajac. Sûrement qu’ils appartiennent à mon environnement proche. Banksy m’intéresse pour ses détournements, Warhol pour l’appropriation des grands classiques. Je suis dans cette lignée. Mais je ne suis qu’un jeune artiste. Ce qui est troublant aujourd’hui, c’est qu’une copie peut devenir une œuvre d’art. Peut-on comprendre notre époque à partir des marques? En ce qui me concerne, les détournements sont définitivement liés à mon enfance. Mais ce qui me porte actuellement, c’est de provoquer des émotions. A force d’explorer de nouveaux territoires, je m’aperçois que c’est ça qui m’attire, bien plus que de faire de l’art.

Comme artiste et comme couturier, vous ne mettez pas la main à la pâte, c’est un choix?
Jean-Charles de Castelbajac. Vous venez de mettre le point sur ma grande dualité. Quand hier soir je peins le portrait de Jacno pour son album posthume, je mets la main à la pâte. La prochaine étape de mon travail sera de faire coïncider travail intellectuel et exercice manuel. Cela me taraude. J’ai dépassé et résolu le clivage entre l’homme de la mode et celui de l’art. La dernière chose à régler reste la distinction entre la tête et les mains.

Comment vous définir?
Jean-Charles de Castelbajac. Je suis un maître de cérémonie. Je propose toujours un cérémonial dans ce que je fais.

Etes-vous collectionneur?
Jean-Charles de Castelbajac. J’ai passé dix ans de ma vie à travailler pour collectionner. J’étais très collectionneur. J’avais une collection ultra émouvante dont j’ai du me séparer à cause du tourbillon de la vie. Être collectionneur, c’est quoi? C’est très simple, quand la collection a été dispersée, c’est comme si j’avais perdu des êtres chers. Cette perte, à un moment donné, m’a fait grandir. Elle était comme les différentes étapes d’Ulysse dans L’Odyssée. C’étaient des moments importants de ma vie. Maintenant, je n’ai plus cet état d’esprit.

Pourquoi se séparer de sa collection?
Jean-Charles de Castelbajac. J’ai du me séparer de ces souvenirs, car mon entreprise avait besoin de liquidités et c’est pour cette raison que j’ai consenti à ce sacrifice. Vous pouvez consulter la collection dans le catalogue de Christies. Ce fut dramatique au vrai sens du terme. Cette vente était tellement troublante et désespérante que je l’ai mise en scène. Je lui ai donné un nom de collection Pop Hip Pop. J’ai essayé de détourner ce moment. J’ai imprimé des t-shirts. Malgré la tragédie que je vivais, j’ai voulu transformer l’enterrement en défilé, et m’approprier ce qui pouvait l’être. Une dernière fois.

Comment est née votre collection?
Jean-Charles de Castelbajac. A chaque fois, il y a avait une rencontre. Je ne collectionnais pas pour le plaisir d’acheter, de posséder ou d’accumuler un trésor à la banque. Ma collection était visible. J’avais un immense appartement de 500 m2. Tout était au mur. Une seule pièce était consacrée aux drapeaux anciens et tout le reste n’était que les images de mes amis. Chacune d’elles était le fruit d’une rencontre, d’une collaboration. La plupart du temps, l’œuvre que je demandais était une commande. Je pense n’avoir jamais acquis une œuvre sans avoir été proche d’un artiste. Il existait tout un rituel avec le galeriste Yvon Lambert. Nous organisions toujours un dîner quand les artistes passaient à Paris. Il y avait un lien qui s’établissait. Plus qu’une collection, c’était un lien. Leur présence était celle d’ex voto. Une sorte de capitonnage, de blindage émotionnel.

Vous êtes mécène également.
Jean-Charles de Castelbajac. Je n’aime pas ce mot. Il sous-entend un pouvoir, un rapport de force. Il est trop condescendant pour les artistes. Je suis un passionné et j’aime participer à des choses diverses. En 2001, j’ai monté un des premiers Concept Store en France, place du marché Saint-Sulpice. Pour la première fois, un créateur laissait carte blanche à d’autres créateurs, à d’autres couturiers pour s’exprimer dans son espace. L’idée consistait à accueillir. Tom Sachs présentait des t-shirts «Kill all Artists» par exemple. J’aime découvrir et j’aime servir de passeur.

L’énergie que vous découvrez chez les autres, se retrouve ensuite dans votre travail?

Jean-Charles de Castelbajac. Plus que de l’énergie, ils me donnent des envies. Ils me nourrissent. Agnès B est un peu comme moi à ce sujet. Par contre chez elle, il n’existe pas de lien entre ses collections et son activité de mécénat, à part quelques t-shirts. Moi, c’est tout le contraire. Toute ma production est imbibée de la même fibre, sans pour autant vampiriser ou copier les autres.

Parlez-nous de vos dessins à la craie que l’on peut voir sur les murs de Paris.
Jean-Charles de Castelbajac. Il y a peu à dire. Tout le monde les compare aux dessins de Cocteau. Je ne vois pas la ressemblance pour ma part. Il faut plutôt rendre hommage à Keith Haring. Quand il venait à la maison faire des cadavres exquis avec mes enfants, je ne jouais pas le jeu. Je préméditais ce que j’allais faire. Je mûrissais mon dessin à l’avance. J’étais le seul à ne pas plonger. C’est en dessinant sur les murs que j’ai rencontré des artistes comme André, Zevs ou Space Invader.

Ces dessins à la craie m’évoquent les graffitis que faisait Rétif de la Bretonne sur le Pont Neuf, avant la Révolution Française.
Jean-Charles de Castelbajac. Je suis très lié également à cet imaginaire. Je dessine à la craie sur les murs à des périodes bien précises. Elles sont liées à des moments d’insouciance. Parfois, c’est quand j’ai trop bu. C’est très libérateur. Ces écritures sont liées à une nécessité, à une urgence. Le plus ancien ange que j’ai dessiné doit être celui que j’ai fait devant la gare du Nord en 1996, il y est encore. Je me suis fait arrêter une fois car j’avais utilisé un gros marqueur sur les palissades du Louvre. Tout le monde me regardait et deux flics sont arrivés. J’ai expliqué que c’était la fête de la musique. Ils m’ont répondu que ce n’était pas la fête de la peinture et ils m’ont embarqué. La fois précédente, c’est grâce à l’intervention de Philippe Noiret que j’avais échappé à la garde à vue.

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