Jean-Charles Blais
Nous connaissons tous les personnages aux formes rondes et sans visages de Jean-Charles Blais, les corps et les paysages opportunément tracés au hasard des affiches déchirées, les dessins de silhouettes à l’encre noire.
Œuvres qui nous parlent d’identité, et de notre propre rapport au corps: comme tout artiste, à travers la création de cet objet qu’est l’œuvre, Blais nous parle de matière, et donc aussi du corps, et de la mortalité.
Jeu évident entre le tangible et son contraire, le vrai et la représentation, le réel et l’illusion. Si le support des affiches déchirées est très concret , il n’est qu’emprunté, et porte une autre image que celle que l’artiste y appose, mais qui demeure invisible.
Les oeuvres, à la fois joyeuses et inquiétantes, présentent souvent un recto et un verso, une dimension visible et une dimension cachée, un aveu et un secret, un endroit et un envers, comme ces œuvres-vêtements exquisément cousues, tout à fait emblématiques.
Tout aussi souvent les œuvres demeurent «inqualifiables», ni affiches ni tableaux, ni habits ni sculptures, ni gouaches ni collages. Ce que l’artiste dérobe, ne révèle pas, nous permet paradoxalement d’accéder à l’essentiel, puisque aucun succédané de vérité n’est imposé.
L’essentiel ? Mais de quoi s’agit-il ? De la vulnérabilité de l’être humain peut-être, voué malgré lui à l’éphémère, au temporaire, inscrit d’avance dans la disparition programmée de sa mort.
Radicales, les œuvres « dématérialisées » du début des années 2000, créées sur des supports numériques, sans réalité plastique, qu’une simple panne de courant pourrait faire disparaître, et dont la survivance dans le temps demeure des plus problématique.
Formes indéfinies projetées sur un écran, conservées par l’invisibilité fragile d’un DVD, formes qui tentent de se rejoindre sans jamais y parvenir, qui se touchent, se superposent, se séparent à nouveau.
Fragilité semblable à la nôtre: Blais nous parle d’une impossible réconciliation, non seulement entre deux êtres mais tout simplement avec soi-même, et avec l’idée de sa propre volatilité.
Pourtant les œuvres présentées à la galerie, peintures sur papier, ont plus de texture que jamais: les découpages, assemblages, épinglages, les superpositions, les reliefs que créent les ombres portées, confèrent aux silhouettes imaginées une présence qui n’a plus rien de virtuel, bien au contraire.
Cette matérialité incontournable infuse sa troublante vérité aux personnages, devenus non plus représentation mais créature, par la magie des morceaux de papier, et la volonté de création.