Jean-Baptiste Sauvage
L’art de Jean-Baptiste Sauvage s’ancre dans une réalité ou dans un territoire donné. Il y réagit, y répond, voire le contredit. Pourtant, l’artiste s’est progressivement éloigné de l’esthétique de ses premières interventions in situ et de ses premières images, au profit d’un détournement de formes, de motifs ou d’objets, qui ont capté son attention.
Cette distanciation lui permet de s’ouvrir à un vaste réseau de renvois et de références esthétiques. Il s’autorise ainsi une plus grande liberté d’interprétation et d’appropriation, qui vont au-delà d’une simple critique des contraintes véhiculées par les formes qu’il utilise.
Ses dernières recherches portent sur les qualités picturales de l’espace, l’usure et les gains des motifs picturaux et graphiques de la Modernité, suite à leur réinjection dans d’autres domaines ou disciplines.
Par l’usage de l’image fixe ou en mouvement, il arrive à maintenir une certaine ambiguïté sur le statut de ses œuvres finales, qui se situent entre photographie (ou film), peinture et sculpture. Ses œuvres peuvent également être vues comme des documents de performance, puisqu’elles relèvent d’une démarche performative adoptée par l’artiste au début de sa carrière. Cette œuvre en action est le fruit d’une intervention directe sur un site ou sur un objet dans l’espace public.
Les pièces présentées au Centre d’Arts Plastiques de Saint-Fons, les images et les objets ne rendent pas directement compte d’une intervention in situ.
Jean-Baptiste Sauvage propose notamment un ensemble de sérigraphies réalisées à partir d’un paysage marin. Il associe la maîtrise de l’accident au processus de séparation des couches de la sérigraphie. Il les recombine ensuite, en accentuant, superposant, répétant telle ou telle dominante colorée. Quant au tirage final, il devient un paysage factice qui contient plusieurs vues.
Par ce procédé, il détourne les techniques traditionnelles de la photographie et de l’estampe au profit d’une démarche picturale. Un simple horizon en camaïeu évoque une multitude de références artistiques, populaires et contextuelles. On peut y voir, par exemple, Le bord de mer à Palavas de Gustave Courbet.
L’artiste fait également référence à l’histoire de la photographie, tout particulièrement à La grande vague de 1857, cette vue du port de Sète de Gustave Le Gray, qui utilise la technique du «ciel rapporté», c’est-à -dire deux négatifs, un pour la mer, un pour le ciel. Mais, ces dominantes acidulées nous renvoient aussi au cliché populaire qu’est devenue la marine.
Enfin, ces couleurs artificielles ont été inspirées à l’artiste par l’observation des couchers de soleil sur la Vallée de la Chimie lyonnaise que domine le Centre d’Arts Plastiques, phénomène essentiellement due à la pollution atmosphérique.
La série de photographies de moules de masques de carnaval qu’il montre également au sont des objets qui servent aux ingénieurs chercheurs d’une usine de la Vallée de la Chimie à tester de nouvelles matières PVC, qu’il a repéré au cours d’une visite du site.
Là encore, il a su déceler toute l’ambivalence de ces objets à l’esthétique grotesque utilisés pour la recherche de pointe dans un secteur de production très codifiée. Ces photographies dévoilent ce qui se trame sur des sites de production protégés du regard public par le secret industriel.
Elles rétablissent ainsi une proximité potentielle entre une activité devenue hermétique et les habitants coupés de la production s’effectuant à la lisière de leurs propres lieux de vie. La prise de vue frontale, l’objet décontextualisé placé sur un fond rouge n’est pas sans rappeler celui des cimaises ou vitrines des musées du XIXe siècle.
Ces figures carnavalesques sont à la fois sacralisées et rejetées dans le champ de l’histoire et de l’anthropologie. En perdant leur valeur d’usage ludique et expérimentale, ces moules se connotent d’une fonction rituelle à l’aura mystérieuse.