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Je suis un apache. Je suis un indien

Votre dernière création Apache conjugue l’énergie, la rythmique et l’histoire de la danse hip hop avec l’univers teinté de rock des compositions d’Alain Bashung. Pourquoi choisir la musique de Bashung comme nappe sonore de la pièce?
Hamid Ben Mahi. Il s’agit d’abord d’une rencontre avec Emmanuelle Jouan, la directrice du Théâtre Louis Aragon à Tremblay. L’idée était de répondre à une commande, monter un projet, travailler avec un biographe, concevoir une mise en scène. Je me suis plongé dans l’univers d’Alain Bashung. Comme tout le monde je connaissais ses tubes mais je n’avais jamais parcouru l’ensemble de sa discographie. J’ai donc commencé à faire des recherches. J’ai alors découvert ses textes, sa musique, ses films, mais aussi l’univers de ce personnage charismatique.
Sa création a trouvé un écho dans ma propre démarche: sa poésie, les tensions qu’il soulèvent, une certaine fragilité aussi…
La musique est venue en premier. J’ai commencé à écrire des phrases chorégraphiques sur des morceaux choisis. Puis avec les danseurs, les recherches ont débuté. Nous avons fait la connaissance de personnes familières de Bashung, des musiciens — notamment Yann Péchin qui a fait partie de sa «famille d’artistes». Ces rencontres ont permis de se rapprocher de l’univers du chanteur, mais aussi de «valider» le projet et d’accorder une légitimité à notre démarche.
Alain Bashung est un mythe! Il a beaucoup contribué à l’évolution du rock français. Il a été une source d’inspiration pour beaucoup de chanteurs, de musiciens. Il est en quelque sorte le chef de file de la tribu, l’Apache!
Le titre de la pièce vient aussi de là. C’est un clin d’œil. Au début des années 1990 il a sorti un album intitulé Réservé aux Indiens et dans Je tuerai la pianiste il disait «Je suis un apache, je suis un indien». Néanmoins la pièce n’est pas un hommage au chanteur. L’univers de Bashung est plus une matière, un support de travail. L’idée a été de l’expérimenter pour essayer de l’emmener ailleurs.

Où se situe le point de contact entre ces deux univers à priori dissonants?

Hamid Ben Mahi. Cette question de la rencontre entre le hip hop et le rock revient constamment. Deux univers que l’on voudrait antagonistes. Cependant je ne pense pas que cela soit le cas. Je crois, bien au contraire, qu’ils sont très proches aussi bien dans les tensions et les ruptures qu’ils induisent que dans le rapport à la marge qu’ils entretiennent. Le point de contact se situe dans l’énergie, mais aussi dans l’attitude. Que ce soit dans le hip hop ou dans le rock, l’attitude compte beaucoup — le style, l’affirmation de soi — des deux côtés on retrouve cette volonté d’une identité très définie.

S’agit-il d’une fusion ou d’une confrontation?
Hamid Ben Mahi. On peut voir dans Apache un déplacement: celui de l’écriture de la danse hip hop et celui de l’univers musical de Bashung. Il est vrai que dans cette création on perd un peu la danse hip hop. C’était cependant déjà le cas dans d’autres pièces. Il s’agit d’une rencontre improbable. Je voulais que l’univers de Bashung, celui de la musique rock live, puisse s’ouvrir au hip hop. Apache peut, dans une certaine mesure, dérouter.

A la recherche de nouveaux états de corps, vous questionnez depuis plus de 10 ans l’identité du danseur hip hop, son histoire, son vécu et sa volonté d’être sur scène… Comment abordez-vous cette translation de l’espace urbain à l’espace scénique?
Hamid Ben Mahi. J’ai fait mes premières scènes ici à la Villette. Je participe aux rencontres depuis 17 ans maintenant! L’ensemble de mon parcours de danseur-chorégraphe s’est fait sur scène. Les théâtres se sont ouverts à la danse hip hop dans les années 90. C’est à cette époque-là que l’on a fait nos premiers pas sur scène. Il est vrai que certains danseurs ne parviennent pas à trouver leur place sur un plateau car danser sur scène nécessite une écriture, une connaissance du monde de la danse et des chorégraphes. Il faut parler le même langage: penser en terme de démarche, d’écriture, de mise en scène… Ces codes-là échappent parfois à certains danseurs du milieu hip hop qui préfèrent rester dans une dynamique de l’instant, ne concentrant pas leur démarche sur la question et la nécessité de faire œuvre.
Pour les danseurs de ma génération ce n’est pas le cas. Nous avons grandi avec la scène pour objectif: jouer dans des lieux où a priori nous n’avions pas accès. Pouvoir danser à Chaillot, au festival d’Avignon, à Montpellier danse, aux Hivernales, etc., c’était un défi, une finalité. Très tôt nous avons compris que pour accéder au plateau il fallait maîtriser les codes de la représentation, nous nous sommes donc donnés les moyens de comprendre la scène et de gagner une légitimité. Aujourd’hui tout cela a beaucoup évolué.

Peut-on dire que votre démarche consiste à créer de nouvelles mythologies corporelles?
Hamid Ben Mahi. C’est vrai qu’il y a une signature, quelque chose commence à s’inscrire au fil des pièces. Ce sont des spectacles engagés dans lesquels on reconnaît une manière de danser, une écriture.
Cependant chacune de mes créations est différente. De Chronic(s) (où je parle de ma rencontre avec la danse classique) en passant par Sekel (où j’invitais les danseurs à prendre la parole) ou encore avec Beautiful Djazaïr (qui aborde l’histoire coloniale franco-algérienne), les univers sont variés. Je souhaite que ma danse s’inscrive, qu’elle soit reconnaissable, que d’autres personnes s’en inspirent aussi. L’idée c’est de laisser une trace.

Vous définissez Apache comme un «concert corporel», pouvez-vous développer?
Hamid Ben Mahi. Apache est un projet conséquent: décor, costumes, projections vidéos, sept personnes sur le plateau et musique live. Parler de «concert corporel» renvoie à l’idée de faire danser le corps en live à la manière d’un chanteur. Il fallait trouver une expression qui soit à la fois directe, frontale voire brutale tout en essayant de «poser des mots». Tout au long de la pièce on voit des solistes qui émergent et qui chantent à leur manière. Apache est une pièce écrite, comme le sont les créations de danse contemporaine, mais construite avec l’envie de pouvoir être jouée dans des salles réservées aux concerts.

Le western est le genre dans lequel les Américains ont reconnu leur idéal de conquête. L’Amérique des pionniers raconte la quête d’un individu ou d’une communauté. Peut-on dire qu’Apache est un western d’un genre nouveau?
Hamid Ben Mahi. En effet, il y a de ça! Evidemment cela fait écho dans la solitude et la quête de cette tribu. Apache est empreint de ce côté américain dont on s’est inspiré. Ce côté western est d’ailleurs très présent dans l’univers de Bashung. C’est vrai que l’on a cherché cet esprit!

Quels sont vos projets?
Hamid Ben Mahi. Certains projets ont déjà démarré. Je suis en train de faire des parades chorégraphiques un peu partout à l’étranger. Je suis à la direction artistique de ces initiatives. Je réfléchis également à une création autour de la question des révoltes. Pour ce projet je souhaite travailler avec un auteur et réaliser une situation pour 5 personnages.
Au-delà de la danse j’ai envie d’amener le hip hop dans la mise en scène. Evidement cela restera une pièce dansée. Ma recherche reste avant tout centrée sur le corps mais l’incursion des mots m’apparaît nécessaire pour donner une autre portée à la création.
Par ailleurs, je suis en train de m’installer du côté de Bordeaux où je veux implanter un lieu dédié aux recherches artistiques, une sorte de laboratoire croisant les arts (danse, musique, art contemporain, etc.)
Enfin, j’ai été choisi pour assurer la direction artistique de la nouvelle édition de Novart à Bordeaux du 14 au 30 novembre 2013, autour du thème: «Les Rencontres improbables».
Beaucoup de projets en somme!

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