«Notre mission sur Terre est de transformer le monde en immense bordel», écrivait Pierre Molinier. À l’abri de son appartement bordelais, l’artiste s’est consciencieusement appliqué à cette tâche en réinventant un monde en marge de la réalité, balançant entre mascarade grotesque et danse macabre aux portes de l’Enfer.
Créateur d’un univers où flottent des jambes gainées de soie, des visages figés, des talons aiguilles et des corsets, il est surtout l’auteur d’une œuvre dérangeante et subversive. Il a dédié son corps à sa création, l’a offert aux travestissements et aux métamorphoses, l’a soumis sans détour à l’œil d’un appareil photo.
Ses photomontages surréalistes submergent par leur sincérité effrayante, perturbent car ils ouvrent la porte sur un imaginaire authentiquement pervers.
Pour sa deuxième exposition, Kamel Mennour présente des documents inédits qui laissent apercevoir l’homme derrière la créature, le visage derrière le masque, le corps sous les guêpières, les faux seins, les porte-jarretelles, les talons vertigineux et les autres artifices.
Les dessins, les croquis, les notes manuscrites, les carnets intimes permettent de jeter un coup d’oeil en coulisses et d’entrevoir l’artiste penché sur ses obsessions, découpant, collant, écrivant pour se recréer un corps, composer un personnage. C’est un esprit malade et torturé qui est ici mis à nu, débarrassé de la fantasmagorie et du secret.
Les dessins, remarquablement sophistiqués, semblent être une retranscription d’hallucinations où les doigts et les branches des étoiles se transforment immanquablement en jambes. Les épreuves déchirées, découpées pour donner naissance aux montages fascinants, sont l’anti-chambre de la création. Les écrits dévoilent l’envers du décor théâtral, la solitude et la douleur sous la provocation revendiquée.
L’oeuvre de Pierre Molinier résonne plus que jamais dans la création contemporaine. En effet, il a été parmi les premiers à aborder des sujets qui, aujourd’hui, préoccupent vivement la société occidentale comme le travestissement, l’autoérotisme, le fétichisme ou l’identité.
«Je suis né homme-putain» retrace la quête de l’hermaphrodisme d’un artiste à part, tourmenté par ses pulsions. Des pulsions qui lui ont été fatales, puisque Eros et Thanatos ont conduit Pierre Molinier à son ultime geste de défi: un suicide aussi parfaitement orchestré que ses images.