La pièce est parfaitement construite. Peut-être trop, d’ailleurs. Le show manque en effet, d’après nous, de déconstruction et de décontraction. D’un minimum de folie, voire, plus simplement, de peps. Tout cela est un peu austère − calviniste sur les bords du lac. Cela se laisse voir, bien sûr, mais, par moments, aussi, prévoir. Il faut dire que la structure est cyclique: les petits bonshommes formant une guirlande de papier plié en accordéon – la pratique du découpage de canivet est une tradition typique du Pays d’Enhaut –, que la chorégraphe retaille aux ciseaux en prenant tout son temps, et le nôtre par la même occasion, seront promus héros d’un cartoon réalisé par un graphiste frais émoulu d’une école d’animation.
Et la table, toujours, comme dans le magnifique solo Smoke de Mats Ek, incarné jadis par Sylvie Guillem, Le Jeune Homme et La Mort de Roland Petit, immortalisé par Babilée, La Table verte de Kurt Jooss, autrefois dansé par Pina Bausch… La fille de Kurt Jooss, Anna Markard, rappelait récemment à l’Auditorium St-Germain qu’un temps mal marqué − la danse étant aussi l’art de marquer le coup − se perçoit de façon plus nette sur un rythme musard que sur un tempo endiablé.
Or, les effets de déshabillage et de rhabillage, de marquage et de masquage du sol et de la table, de décollage de bandes de ruban adhésif, les fondus et ouvertures au noir, les apparitions et disparitions partielles étant systématiques, le corps féminin se trouvant plus souvent allongé qu’à son tour, la pièce de Perrine Valli se révèlera alanguie − ce, en raison du thème de la prostitution féminine qui a servi, nous dit-on, de point de départ à cette pièce féministe.
La jeune théâtreuse et son double, la fausse brune Jennifer Bonn − qui se croira obligée de nous gratifier d’un long poème débité à la manière des performers de Polyphonix des années 80, avec force effets d’halètements − joueront les stripteaseuses façon sœurs jumelles devant un écran étoilé.
On est dans le domaine du burlesque pas drôle. Du «new burlesque» janséniste. Cet adjectif, d’origine italienne, signifie en espagnol farce et aurait, selon certains, donné celui de buleria, un style du flamenco, et à coup sûr, celui de burlador, qui s’applique au séducteur et celui de burladero, qui permet au torero de s’extraire de l’arène en cas de difficulté, dispositif utilisé aussi par la scénographe de la pièce, Marie Szersnovicz, pour faciliter les entrées et les sorties en coulisses des danseuses.
Ces réserves mises à part, on a apprécié certaines trouvailles de la chorégraphe-metteur-en-scène. Par exemple, le jeu à partir du motif stellaire qui recouvre d’abord les aréoles des seins des interprètes puis se met à clignoter en une constellation sur le mur du fond et prolifère comme les bulbes lumineux dans les boîtes de Pigalle et les scènes de Vegas.
Pour signifier la marchandisation du corps féminin, l’une des danseuses est déposée nue, comme un vulgaire paquet, par un assistant dont le nom ne figure pas au générique du spectacle, sur la table − et se retrouve, par reflet spéculaire, exactement dans la même position que sa partenaire au sol. De même, l’effeuillage de la danseuse, ralenti à l’extrême, est parfaitement exécuté. Il produit vraiment son effet et illustre stricto sensu le titre de la pièce.
— Conception: Perrine Valli
— Interprétation: Jennifer Bonn et Perrine Valli
— Création sonore: Jennifer Bonn
— Lumière: Cyril Leclerc
— Scénographie: Marie Szersnovicz et Perrine Valli
— Vidéoprojection: Akatre / Frédéric Lombard
— Captation vidé: Frédéric Lombard